Publié

Ces paiements par carte qui agacent les commerces et rognent leurs marges

Le paiement numérique se généralise. Ce qui ne fait pas les affaires des petits commerçants
Le paiement numérique se généralise. Ce qui ne fait pas les affaires des petits commerçants / 19h30 / 2 min. / le 9 mars 2023
De nombreux commerces refusent les paiements par carte en dessous d'un certain montant. Car les commissions prélevées pour ces transactions coûtent parfois cher aux petits commerces, surtout avec les nouvelles cartes de débit, de plus en plus nombreuses. Après la pression de Monsieur Prix, la Comco pourrait bientôt venir aux secours des détaillants.

Trois étudiants Chez Teresa, un petit tea-room genevois, consomment un capuccino. Chacun paie sa boisson de 4,80 francs avec sa carte de débit V Pay. En regardant le détail de ces transactions, Teresa tombe des nues. Chaque paiement lui a coûté 75 centimes. Autant dire que la marge qu'elle pensait réaliser sur ces cafés a disparu. C'était en décembre dernier.

Désormais, on ne l'y reprendra plus. Le jour de notre visite, une pancarte devant la caisse enregistreuse précise que la carte n'est admise que pour un montant minimum de 10 francs. Ce jour-là, c'est une table de cinq étudiants qui souhaitent à nouveau régler séparément avec une carte. Pour nous démontrer ses propos, elle accepte le paiement d'un thé, 4,50 francs, avec une Débit MasterCard. Verdict: 45 centimes de frais.

"En dessous de 10 francs, on ne peut plus se permettre. Sinon, on n'a plus de marge", dit-elle au 19h30 de la RTS. En nous montrant le détail des paiements du jour, on peut voir des frais de 45 ou 75 centimes, que ce soit pour des petits montants ou des transactions de dizaines de francs. "Si on nous paie un croissant à 1,80 franc avec une carte et qu'on nous prend 45 centimes de frais, ce n'est pas possible. Moi, je ne prends pas 40 centimes de marge. Je n'y arrive pas", explique Teresa.

Refuser une carte est parfois interdit

Le service qui fournit à Teresa son terminal de paiement l'a autorisée à mettre sa pancarte. Mais selon les contrats établis avec les prestataires, appelés "acquéreurs", dans le jargon bancaire, le commerçant peut se voir interdire de refuser les cartes pour les petits montants.

Malgré cette limite fixée à 10 francs, Teresa aura payé ce jour-là 25 francs de commissions pour l'ensemble des transactions par carte. Une moyenne de 400 francs par mois, qu'elle peine à s’expliquer.

"L'année passée, il y a eu un mois où je n'ai pas pu me verser un salaire. On travaille beaucoup, on donne notre maximum. Pour économiser 1000 francs par année, je vais moi-même chercher les viennoiseries tous les jours, plutôt que de me les faire livrer. Et au bout d’un moment, si on travaille pour quelqu'un qui est assis dans son bureau... Je ne veux pas enlever leur mérite, mais nous aussi, on mérite d'avoir notre salaire. Alors de voir qu'on travaille pour donner ces frais à quelqu'un d'autre, ce n'est pas évident", se révolte Teresa.

>> Lire aussi : Les nouvelles cartes bancaires coûtent plus cher aux commerçants

La goutte d'eau des commerçants

Teresa n'est pas un cas isolé. Genève Commerce, l'association professionnelle du commerce de détail genevois, est régulièrement interpellée par ses membres.

"Cela devient une réelle préocupation. Après avoir traversé une succession de crises, qui ont parfois fait puiser les commerçants dans leur dernière réserve, que l'on a des incertitudes sur la suite, notamment une hausse des coûts de l’énergie ou l’inflation, on commence à vérifier ses charges plus précisément. Et lorsqu'on voit le montant de ces commissions, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase, sachant qu'il n'y a pas de réelle justification", défend Flore Teysseire, secrétaire patronale de Genève commerce.

Seulement 29% des paiements en cash

Pour les petits commerçants, qui contrairement aux grands détaillants ont moins de marge de manoeuvre pour négocier ces commissions avec les acquéreurs, c'est problématique. D'autant que les habitudes de paiement se détournent toujours plus du cash. Selon une récente enquête de la Haute école des sciences appliquées de Zurich (ZHAW) et de l'Université de Saint-Gall, seuls 29% des paiements quotidiens sont encore effectués en espèces.

Il faut dire que le nombre de bancomats a tendance à baisser, pour des raisons à la fois de sécurité et d'économies pour les banques. A Vernayaz (VS), par exemple, le seul appareil dans cette commune de 1850 habitants a été récemment fermé.

>> Lire à ce sujet : La riposte se met en place face aux attaques de bancomats à l'explosif

Autre objet de ras-le-bol: les nouvelles cartes de débit, Debit MasterCard et Visa Debit, qui permettent les achats en ligne et qui remplacent petit à petit les Maestro. L'an dernier, plus de 2,4 millions de cartes de débit sont entrées sur le marché suisse, faisant grimper leur nombre à près de 13,7 millions. A cela s'ajoutent encore 8,5 millions de cartes de crédit, dont les frais sont encore plus élevés pour les commerçants.

Des commissions aux banques

Prenons l'exemple d'un achat de 100 francs dans un commerce, qui avait souscrit avec le prestataire de service de paiement Worldline (anciennement SIX Paiement), le leader du marché. Avec une carte maestro, le montant est fixe, de 26 centimes par transaction.

Avec les nouvelles cartes de débit MasterCard et Visa, le commerçant paiera une commission souvent plus importante. SIX prélève un montant fixe de 10 centimes, auquel s'ajoute un pourcentage du montant de l'achat, de 0,5% pour Debit MasterCard et de 1% pour la Visa Debit. Soit des frais de respectivement 60 centimes et 1,10 franc.

Contrairement aux paiements avec la Maestro, SIX devra verser aux banques une taxe d'interchange. Difficile de savoir quelle part va au fournisseur du terminal (Worldline, Sumup, Concardis, etc), aux fournisseurs de cartes (Visa, MasterCard) ou aux banques. L'ensemble du système reste opaque. Mais de source bancaire, les banques prélèveraient 0,3% du montant payé avec une Debit MasterCard et 0,45% avec une Visa Debit. Un profit qui pourrait atteindre plusieurs dizaines de millions de francs par an.

La pression de Monsieur prix

Grâce à la pression du Surveillant des prix Stefan Meierhans, Worldline a consenti l'an dernier à plafonner les frais à 2 francs pour Debit MasterCard et à 3,50 pour Visa Debit. "Cela a économisé déjà beaucoup aux commerçants. Mais je suis d'accord que ces nouvelles cartes restent un défi pour les commerçants. A priori, ces services sont hautement automatisés et on peut se demander pourquoi il faut payer autant pour un processus qui se fait entre ordinateurs".

Stefan Meierhans dit rester en contact régulier avec les banques et les prestataires de services dans ce domaine, mais pas seulement. Il promet de s'attaquer prochainement au paiement par Twint, qui fait également l'objet de doléances de la part des commerçants.

Un accord bientôt avec la Comco

De son côté, la Commission de la concurrence (Comco) avait autorisé une commission d'interchange (cette taxe reversée aux banques), tant que ces nouvelles cartes de débit représentaient moins de 15% des parts du marché.

Selon nos informations, cette part de marché serait atteinte et des discussions sont en cours avec les différents acteurs. La Comco ne s’exprime pas encore tant que le dossier est en cours, mais assure qu'une solution est déjà sur la table et pourrait aboutir d’ici cet été.

Feriel Mestiri

Publié