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Les licenciements dans la tech mettent à mal les finances de l'Irlande

Les départs se sont multiplié chez Twitter, au lendemain d'un ultimatum d'Elon Musk. [AP/Keystone - Jeff Chiu]
Fin du rêve: les entreprises de la tech forcées à devenir rentables: interview de Frédéric Fréry / Tout un monde / 6 min. / le 6 décembre 2022
L'Irlande, qui accueille de nombreuses entreprises technologiques sur son territoire, est particulièrement touchée par les récentes vagues de licenciements dans le secteur. Cette crise pourrait néanmoins être l'occasion pour le milieu de transformer son modèle économique.

Les licenciements se sont multipliés ces derniers mois chez les géants du numérique et dans les entreprises de la tech en général. Elles ont licencié aux Etats-Unis un total de plus de 144'000 personnes depuis le début de l'année, selon le décompte tenu par le site layoffs.fyi.

Cette crise n'est pas sans conséquences sur l’économie irlandaise, puisque le secteur de la tech représente 6% de l’emploi sur l’île. Il s'agit du plus fort taux dans l’UE. Au total, ces suppressions de postes pourraient coûter l'équivalent de 10 milliards de francs à l'Irlande.

Rory O'Farrell, économiste à l’Université technologique de Dublin, a expliqué cette semaine dans l'émission Tout un monde que le boom de recrutements qui a eu lieu pendant la pandémie est maintenant terminé.

"C’était des emplois bien payés, on va donc perdre leur impôt sur le revenu. L’impôt sur les sociétés est aussi très important. Ces multinationales étrangères du secteur de la tech représentaient 20% de notre impôt sur les sociétés. Cela va creuser un gros trou dans les finances irlandaises qui sera difficile à combler."

"Un mal pour un bien"

Frédéric Fréry, professeur de management à l'ESCP Business School, estime néanmoins que cette crise est un mal pour un bien. "Les investisseurs considéraient la tech comme une sorte d'oasis merveilleuse, et cela a donné lieu à des comportements assez surprenants. Quand je vois des entrepreneurs qui créent des entreprises non pas pour qu'elles soient rentables, mais uniquement pour qu'elles fassent un gros chiffre d'affaires, je m'interroge."

C'est une remise à zéro des compteurs qui est plutôt bénéfique sur certains points

Frédéric Fréry, professeur de management à l'ESCP Business School

"Un modèle économique qui n'a pas pour nature de dégager de la rentabilité un jour, c'est assez étrange. Personnellement, je trouve que c'est une remise à zéro des compteurs qui est plutôt bénéfique sur certains points", fait-il valoir.

L'économiste développe son analyse: "La croissance jouait un peu le rôle de la rentabilité auprès des investisseurs. Je rappelle qu'un investissement se rentabilise soit avec des dividendes, soit avec de la plus-value, et si vous êtes dans une sorte de croissance effrénée et perpétuelle, vous pouvez quand même attirer des investisseurs qui eux-mêmes font l'hypothèse qu'ils revendront plus cher ce qu'ils ont acheté, même si dans les faits il n'y a pas vraiment de rentabilité."

Vendre "une croissance perpétuelle"

Frédéric Fréry prend l'exemple d'Uber: "Le groupe accumule des pertes en milliards, il n'empêche que sa valorisation boursière continue d'être extrêmement plantureuse parce qu'il vend une espèce de croissance perpétuelle."

Ce retour à la 'normale' marque peut-être la fin d'une période euphorique qui par moments a plus eu l'air d'un rêve collectif qu'autre chose

Frédéric Fréry, professeur de management à l'ESCP Business School

 "Je ne peux pas m'empêcher de voir ça comme une sorte d'anomalie par rapport à ce qu'on enseigne normalement. Une entreprise doit dégager une forme de rentabilité pour pouvoir couvrir ses dépenses sans devoir en permanence demander l'aumône à des investisseurs. Ce retour à la 'normale' marque peut-être la fin d'une période euphorique qui par moments a plus eu l'air d'un rêve collectif qu'autre chose."

>> Ecouter l'interview complète de Frédéric Fréry dans Tout un monde :

Les départs se sont multiplié chez Twitter, au lendemain d'un ultimatum d'Elon Musk. [AP/Keystone - Jeff Chiu]AP/Keystone - Jeff Chiu
Fin du rêve: les entreprises de la tech forcées à devenir rentables: interview de Frédéric Fréry / Tout un monde / 6 min. / le 6 décembre 2022

Nouvelles opportunités

Ce rééquilibrage peut également servir d'opportunité pour de nouvelles entreprises. Le plus gros incubateur de start-ups en Irlande, Dog Patch Labs, compte bien en tirer profit. "Ils suppriment ces postes principalement à cause de la bourse américaine", explique un employé de l'incubateur.

"Donc nous, on n’a aucun licenciement, bien au contraire. Des gens viennent à nous en disant: 'Une de ces grandes entreprises m’a laissé partir, je vais prendre du temps pour moi à Noël et quand je reviens je veux créer mon entreprise, quelle est la prochaine étape?'"

Fonds de réserve

Il se montre optimiste: "Ces talents ne peuvent qu’être bénéfiques. Ces personnes très qualifiées trouveront toujours du travail. Ce ne sont pas de simples entreprises, ce sont nos amis. Chaque semaine, des gens de ces groupes viennent aider nos start-ups et on essaie de leur rendre comme on peut. On a de la chance parce que nous avons bâti un écosystème technologique incroyable en Irlande, donc ceux qui cherchent du travail en trouveront."

Pour amortir de futurs chocs, le gouvernement irlandais va transférer d'urgence 6 milliards d'euros dans un fonds de réserve. L’objectif est de réduire progressivement la dépendance à ces multinationales et diversifier l’économie.

Sujets radio: Laura Taouchanov et Eric Guevara Frey

Adaptation web: Antoine Schaub

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