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Les chauffeurs Uber demandent une rémunération pour le temps d’attente

Les chauffeurs Uber demandent une rémunération pour le temps d’attente
Les chauffeurs Uber demandent une rémunération pour le temps d’attente / 19h30 / 2 min. / le 1 octobre 2022
Le conflit jusqu'ici cantonal entre Uber et ses salariés se déplace désormais à Berne, où il est question d'opacité de l'algorithme et de rémunération du temps d'attente. Une initiative parlementaire demande d'imposer à la plateforme une transparence minimale ainsi qu'une rémunération respectant le cadre légal.

Rouler pour Uber, c'est prendre des clients, en attendre d’autres et passer beaucoup de temps seul dans sa voiture, à tourner en rond. Ce temps mort cristallise la bataille syndicale qui se joue désormais aussi à Berne.

Ci-dessous, l’exemple d'un chauffeur genevois: en jaune, les courses qu'il a faites avec des clients. En rose, les tronçons réalisés pour aller chercher des clients. Et en bleu, les temps morts, en attente de passagers. Cette dernière trajectoire est recommandée par Uber, qui guide le chauffeur de manière à couvrir au maximum le territoire.

Carte montrant le parcours d'un chauffeur Uber à Genève. [DR]

Ces informations ont été fournies par le spécialiste en données Paul-Olivier Dehaye, initiateur du projet Digipower.Academy, qui avait été à l’origine des révélations du scandale de Cambridge Analytica.

Transposées sur une carte, ces données livrent une analyse probante, bien que ce chauffeur genevois ne soit pas représentatif de l'ensemble des employés d'Uber. On peut tout de même constater qu'il parcourt environ le même nombre de kilomètres avec et sans clients. "On voit aussi qu'il attend beaucoup plus de temps qu'il n'en passe en course. Parfois, il attend pendant des heures, sans avoir une seule course", souligne Paul-Olivier Dehaye.

Ces données, chaque chauffeur peut les demander à Uber. Les comprendre est un autre problème. Mais là où Uber manque vraiment de transparence, selon le mathématicien, c'est sur les données GPS, élément crucial pour que les chauffeurs puissent faire valoir auprès d'Uber le temps réellement passé à travailler et calculer précisément les frais de kilomètres qui leur sont dus.

A l'heure actuelle, Uber refuse de fournir des données GPS allant au-delà des deux derniers mois. "Leurs arguments sont très suspects: ils disent que ça peut affecter des libertés d'autrui, sans vraiment être très clairs sur ce qu'ils veulent dire de ce côté-là", déplore Paul-Olivier Dehaye.

Initiative parlementaire

Aujourd'hui, le combat genevois atteint la Coupole fédérale. Le conseiller national Christian Dandrès vient de déposer une initiative parlementaire visant à lutter contre les abus de travail dans le domaine des plateformes numériques: "Un nombre important de personnes qui travaillent attendent des courses ou attendent de livrer des repas. Et leur temps d’attente n’est pas rémunéré. Il faut considérer cela comme étant du travail, car ces personnes sont à disposition de leur employeur."

Le socialiste genevois prend l'exemple d'un livreur employé dans un restaurant avec un contrat ordinaire. "Avec les plateformes numériques, les employés ne sont pas traités de la même manière. Ils ne sont rémunérés que pendant les périodes facturables aux clients, ce qui n'est pas acceptable."

D'autant que le temps d'attente des chauffeurs n'est pas toujours du temps immobile. En général, Uber suggère aux chauffeurs d'aller dans certaines zones où il y aurait une plus forte affluence. Paul-Olivier Dehaye note qu'il n'y a aucune garantie que ce soit vrai. "L'intérêt d’Uber est qu'il y ait des chauffeurs un peu partout, ce qui lui permet d'assurer d'avoir quelqu'un dans les trois minutes, où que vous soyez dans la ville". Quitte à balader un chauffeur et à le faire attendre.

Le pouvoir de l'opacité

Au Conseil national, Christian Dandrès demande également plus de transparence sur les paramètres influençant l'attribution des courses Uber. Il reproche à la plateforme un système et un algorithme bien trop opaques.

Selon Paul-Olivier Dehaye, beaucoup de facteurs peuvent en effet entrer en compte pour déterminer l'attribution d'une course ou d'une commande: "Cela peut être la note du chauffeur, la qualité de sa voiture, la qualité de son travail, sa vitesse. Il y a beaucoup de questions. Mais cette opacité offre un pouvoir très important [à Uber, ndlr]".

Libres d'accepter ou refuser

Interrogé, Uber affirme par écrit que les chauffeurs "peuvent librement accepter ou refuser une course, voire accepter puis annuler une course sans risque de sanction".

La plateforme n'a en revanche pas souhaité préciser les critères d'attribution tels qu'ils sont définis dans l'algorithme.

Pour Christian Dandrès, il est maintenant urgent de normaliser un système qui s'apparente selon lui à du "travail au noir" par des plateformes "qui en plus ne paient pas d'impôts en Suisse, qui ponctionnent des milliers de francs par travailleur par année, et qui ne paient pas de cotisations sociales."

Cette problématique est désormais entre les mains du Parlement.

Théo Jeannet, Feriel Mestiri

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