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La pandémie puis la guerre ont mis en lumière la fragilité du fret mondial

Le commerce mondial de marchandises fera mieux que prévu en 2021. [AFP/Getty Images - Mario Tama]
La chaîne logistique d’approvisionnement mondial mise à mal par la pandémie et la guerre / Tout un monde / 6 min. / le 18 mai 2022
La pandémie puis la guerre en Ukraine ont mis sous forte pression la chaîne logistique mondiale d'approvisionnement. Le transport des marchandises est devenu plus compliqué et plus cher. En cause, les blocages liés aux crises, mais aussi une situation d'oligopole et des investissements inadéquats.

Ports embouteillés, ruptures de stock, pénuries temporaires... La mécanique du commerce mondial s'est grippée ces derniers temps. Et on estime que la logistique de transport de marchandises représente un quart de la hausse globale de l'inflation. La double épreuve de la pandémie et de la guerre a démontré ses failles logistiques.

La période de pandémie a mis en évidence des problèmes d'infrastructures portuaires et de synchronisation entre le transport maritime et routier, note Stéphane Graber, directeur général de la Fédération internationale des associations de transitaires et assimilés (FIATA), la plus grande faîtière mondiale de transport multimodal avec quelque 40'000 membres dans 150 pays.

Flux grippés

Par ailleurs, en Chine, la politique de Pékin en matière de Covid a entravé le fonctionnement des ports du pays, et notamment celui de Shanghai, le plus grand du monde en termes de volume de marchandises. Officiellement, les autorités chinoises disent qu'il a continué à fonctionner à 80% de ses capacités. Mais les données sur le transport maritime contredisent cette affirmation, souligne Michael Peuker, correspondant de la RTS en Chine.

La pandémie a également grippé le flux des conteneurs, qui s'accumulaient dans certains ports alors qu'il en manquait cruellement dans d'autres.

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Une fragilité encore accentuée par la guerre en Ukraine et l'embargo sur la Russie, qui oblige à modifier les routes habituelles entre l'Asie et l'Europe. Or, "plus vous avez de pays à traverser, plus vous avez de douanes à passer. Et donc un temps extrêmement allongé dans la chaîne d'approvisionnement", explique Stéphane Graber.

Risque d'emprise totale

Autre écueil, le fret maritime est un marché dominé par très peu d'acteurs. "Aujourd'hui, on fait clairement face à un oligopole dans le domaine maritime, avec quatre sociétés qui détiennent à peu près 85% du marché", explique le spécialiste.

Selon lui, les mesures de régulation de ces dix dernières années ne sont plus adéquates dans le monde d'après-Covid. Ainsi, "si le régulateur n'adapte pas son environnement avec cet oligopole, ça pourrait causer de vrais problèmes pour la chaîne logistique."

Notamment des hausses de prix permettant des profits démesurés, que ces compagnies réinvestissent pour étendre leur emprise, ce que déplore Stéphane Graber: "Aujourd'hui, les compagnies maritimes investissent essentiellement dans la logistique, la route ou les ports. Donc elles contrôlent toute la chaîne, de l'usine à la livraison finale. Et si vous vous retrouvez avec un marché complètement contrôlé par quatre sociétés, vous pouvez imaginer la problématique en matière de prix. Les impacts négatifs d'un oligopole vont être ressentis par le consommateur final."

Conséquences écologiques et sociales

Pour Stéphane Graber, les autorités de réglementation devraient donc intervenir, d'autant que le défi est aussi environnemental. "Actuellement, on laisse ces compagnies investir pour renforcer une situation qui est questionnable en termes d'oligopole, plutôt que de les encourager à investir dans l'innovation et la décarbonisation."

Enfin, les conséquences de cette crise pèsent particulièrement sur les pays du Sud et les pays en développement. Car, dans leur course à la grandeur, les grands groupes maritimes concentrent leurs investissements sur les lignes les plus rentables, soit les flux de l'est à l'ouest, entre la Chine, l'Europe et les Etats-Unis. Dans ce contexte, par exemple, l'Afrique subsaharienne a perdu en deux ans près de 10% de ses liaisons maritimes.

Patrick Chaboudez/jop

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