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Faudrait-il généraliser la semaine de 4 jours de travail, payés comme 5?

Une employée dans un open space, à la rédaction de "20 Minuten" à Zurich. [Keystone - Gaetan Bally]
Une semaine de 4 jours, payés 5: interview d’Isabelle Rey-Millet / Tout un monde / 11 min. / le 6 novembre 2019
En août dernier, Microsoft a tenté au Japon l'expérience de la semaine de quatre jours, payés cinq. Le géant informatique affirme que la productivité des employés a augmenté de 40%. Faudrait-il appliquer ce principe à toutes les entreprises?

Microsoft dit s'y retrouver financièrement, avec des conséquences positives pour les employés (plus productifs, moins stressés), l'entreprise et l'environnement (avec des économies d'énergie et de papier). D'autres expériences de semaine de quatre jours ont été menées en Suède, en France, aux Etats-Unis et en Nouvelle-Zélande, avec des résultats encourageants.

"Le plus surprenant, c'est que la majorité des gens nous ont dit qu'ils arrivaient mieux à faire leur travail en quatre jours qu'en cinq", expliquait Andrew Barnes, directeur de la société fiduciaire néo-zélandaise Perpetual Guardian, en début d'année dans l'émission Tout un monde de la RTS.

Alors, pourquoi toutes les entreprises ne se mettent pas tout de suite à la semaine de 4 jours payés 5? L'avis d'Isabelle Rey-Millet, directrice du cabinet de conseil aux entreprises Ethikonsulting et professeure de management à l'école de commerce ESSEC, interrogée mercredi dans Tout un monde.

Tout un monde: Le cinquième jour de travail ne sert-il donc à rien?

Isabelle Rey-Millet: Cela montre surtout qu'on ne sait pas forcément bien s'organiser, ni bien gérer un système collectif. On met des gens sur des rails individuels au lieu de les mettre sur un mode de fonctionnement collectif. Mais on ne passe pas à la semaine de quatre jours en claquant des doigts: il faut vraiment un changement d'état d'esprit, mais aussi de méthode collaborative.

C'est-à-dire?

Aujourd'hui, on constate que les gens ont des objectifs qui sont essentiellement orientés vers leur service, voire même des objectifs personnels. On oublie de les responsabiliser et de les autonomiser (...). On a aussi évalué qu'aujourd'hui, 50% du travail des managers (...) est pris par du reporting et du contrôle. Dans une semaine de 4 jours, on oublie ce genre de choses. On est beaucoup plus efficace. Il ne faut pas oublier les lois du temps et du cerveau! Ici, on va se focaliser sur les choses essentielles.

Est-on devenus plus productifs qu'il y a 10 ou 20 ans?

C'est clair que le digital nous amène une efficacité. Il y a 20 ans, je faisais de la communication, il fallait que je contacte un par un mes clients, les journalistes... Aujourd'hui on envoie un mail, cela prend 10 minutes pour joindre mille personnes. On devrait gagner du temps, mais à l'inverse de ça, on passe trop de temps en réunion.

Il faudrait donc changer de méthode de management pour accompagner cette semaine de 4 jours...

Oui. Responsabiliser les gens, laisser de l'autonomie, mais aussi mieux cadrer l'action de chacun. Beaucoup d'entreprises restent sur des règles floues. Il faut s'attaquer au "mythe du présentéisme", le fait d'arriver à 9h et de partir à 17h ou à 18h, voire, pour les cadres, ne pas partir avant 20h. Ou la loi de Parkinson, qui dit qu'"une tâche prend le temps que vous lui donnez, dès le moment où vous ne lui donnez pas de fin". Avec la semaine de quatre jours, on a remarqué que les personnes commencent par faire les tâches rébarbatives à leur retour au travail. Elles sont en forme pour le faire. On gagne en efficacité. La réalité, c'est que le cerveau a besoin de se régénérer, de prendre du temps pour s'attaquer de manière efficace au travail.

Alors, qu'est-ce qui bloque encore sa généralisation?

C'est vraiment une question d'état d'esprit. Le cerveau n'aime pas le changement, les organisations et les gouvernances non plus. Il y a encore des gens qui craignent que passer de 4 à 5 jours réduise l'efficacité. Cela dépend du secteur d'activité, mais on a des expériences dans des secteurs très différents, y compris dans des usines.

Propos recueillis par Eric Guevara-Frey

Adaptation web: Jessica Vial

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