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La pression de Roche sur Berne pour le prix de son anti-cancéreux Perjeta

Roche accusée d'utiliser la Suisse pour vendre ses médicaments plus chers à l'étranger
Roche accusée d'utiliser la Suisse pour vendre ses médicaments plus chers à l'étranger / 19h30 / 2 min. / le 31 janvier 2019
Depuis 2012, une partie de poker se joue entre le puissant groupe Roche et l'Office fédéral de la santé publique (OFSP) sur le prix du médicament contre le cancer Perjeta. Une enquête montre les dessous de ce jeu de pouvoir opaque.

Roche est le leader mondial dans le traitement du cancer du sein. La thérapie dite combinée avec les deux médicaments Perjeta et Herceptin, un autre médicament de Roche, est la thérapie courante et la plus efficace contre les cancers métastatiques du sein. Chaque année en Suisse, environ 500 femmes commencent ce traitement, qui prolonge l'espérance de vie de plus d'une année.

L'émission alémanique Rundschau a eu accès aux documents et mails relatant les années de négociations entre Roche et l'Office fédéral de la santé publique pour fixer le prix du traitement.

La thérapie coûte en moyenne 103'200 francs par année et par patient, à la charge de la compagnie d'assurance de base. C'est le double de la combinaison Herceptin + Docetaxel, qui coûtait 50'500 francs par an.

Négociations opaques et prix fictifs

Tout commence en 2012, lorsque Roche tente de négocier le prix du paquet de Perjeta à 3950 francs. En face, l'OFSP ne l'approuve qu'à 1850 francs, soit moins de la moitié.

Roche fait alors une offre inédite et propose de maintenir le prix de la boîte à 3950 francs, tout en remboursant 2100 francs à l'assurance maladie, ramenant ainsi le prix à 1850 francs, comme le souhaitait l'OSFP.

"Il s'agit d'un prix-vitrine pour Roche vis-à-vis de l'étranger, qui permet de démontrer qu'ils obtiennent une certaine somme pour ce médicament en Suisse. Plus le prix est élevé en Suisse, plus ils pourront probablement en obtenir un prix élevé à l'étranger", explique Max Giger, ancien président de la Commission fédérale des médicaments.

Il s'agit d'un prix-vitrine pour Roche vis-à-vis de l'étranger. Plus le prix est élevé en Suisse, plus ils pourront obtenir un prix élevé à l'étranger.

Max Giger, ancien président de la Commission fédérale des médicaments (CFM)

L'OFSP s'y oppose et refuse ce "prix-vitrine". Roche réplique en présentant sa solution à Berne, avec le soutien des assurances maladie et des médecins. Et explique clairement que sans ce nouveau modèle de tarification, les patients perdraient bientôt l'accès aux médicaments innovants.

La pression fonctionne. Une nouvelle rencontre a lieu entre Roche et l'Office fédéral de la santé publique à Berne. Quelques semaines plus tard, ce dernier capitule et accepte, pour une durée limitée à un an, le prix-vitrine de 3450 francs.

Des prix moins chers que pour les pays européens

Interrogé sur ces documents montrant les tentatives de pression, l'actuel directeur adjoint de la Commission fédérale des médicaments Thomas Christen répond: "Je ne sais pas exactement à quel passage vous vous référez. Mais le prix que nous avons fixé était basé sur les exigences étroites du Conseil fédéral et de la législation. Ensuite, je trouve que le prix que nous avons négocié et fixé est inférieur à celui des pays européens." Selon lui, le "prix-vitrine" était donc un modèle réussi.

De son côté, Roche n'a pas souhaité commenter les prix à l'étranger. Les sociétés pharmaceutiques offrent par ailleurs des rabais secrets dans de nombreux pays. Dans l'affaire Perjeta, Roche réfute avoir fait pression. Selon Remo Christen, directeur de l'autorisation de mise sur le marché en Suisse chez Roche, "les prix des médicaments sont clairement réglementés par la loi en Suisse. Les décisions de prix de l'OFSP sont publiques. On ne peut pas parler d'un manque de transparence."

Sur demande spéciale

En 2014, un an après ce premier cycle de négociations, Roche et l'OFSP se mettent une nouvelle fois à table à propos du prix de Perjeta. Roche menace de faire disparaître le médicament de la liste des spécialités sans le prix demandé. Il ne serait donc plus automatiquement pris en charge par l'assurance de base.

Dans un mail adressé à l'OFSP, Roche précise que cela aurait des conséquences négatives pour les patients et attirerait beaucoup l'attention des médias. Les négociations échouent malgré tout. Le médicament Perjeta ne figurera plus sur la liste des spécialités.

Les prix des médicaments sont réglementés par la loi et les patients ont toujours eu accès à Perjeta avec l'accord de Swissmedic.

Remo Christen, directeur de l'autorisation de mise sur le marché en Suisse chez Roche

Désormais, les patients n'ont accès au médicament que sur demande spéciale. Mais selon Roche, il n'a jamais été question de pourparlers sur le dos des patients: "Les prix des médicaments sont réglementés par la loi et les patients ont toujours eu accès à Perjeta avec l'accord de Swissmedic, car les assureurs maladie reconnaissaient la valeur du traitement", souligne Remo Christen.

A ce jour, les négociations de prix se poursuivent. Le médicament est utilisé encore plus largement et représente donc, pour l'assurance de base, un coût encore plus élevé qu'il ne l'était il y a 6 ans, même après déduction de la réduction du "prix-vitrine".

>> Lire aussi : Bonne année 2018 pour le groupe pharmaceutique bâlois Roche

Sujet TV: Rundschau (SRF)

Réalisation web: Feriel Mestiri avec Valentin Tombez

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Perjeta a rapporté 2,2 milliards de francs dans le monde

Roche a franchi l'an dernier le cap des dix milliards de francs de bénéfice. Son chiffre d'affaires, en hausse de 7%, dépasse désormais les 56 milliards de francs.

L'année 2018 a souri au géant pharmaceutique, porté notamment par les ventes de médicaments contre le cancer.

Perjeta est l'un de ses blockbuster. Il s'agit de son quatrième médicament totalisant le plus de revenus. Selon le site internet du géant bâlois, il a rapporté 2,2 milliards de francs en 2017.