Publié

"La question des coûts n'est pas la principale préoccupation des initiants"

Liliane Maury-Pasquier. [Gaëtan Bally]
Liliane Maury Pasquier (PS/GE) monte au créneau pour défendre le financement de l'IVG par l'assurance de base. - [Gaëtan Bally]
La conseillère aux Etats Liliane Maury Pasquier (PS/GE), sage-femme de profession, défend le droit au remboursement de l'avortement. Pour elle, les initiants s'attaquent à l'IVG de manière détournée.

RTSinfo: pourquoi l'interruption volontaire de grossesse devrait-elle être remboursée par l'assurance de base ?

Liliane Maury Pasquier: parce que c’est un acte médical qui doit être accompli par des personnes qualifiées et dans les meilleures conditions possibles, sans quoi il a des conséquences évidentes sur la santé.
Les initiants disent que la grossesse n'est pas une maladie. C'est vrai ! Mais en poussant le raisonnement, grossesse et accouchement devraient aussi sortir des coûts de l'assurance. Cela prouve bien que la question des coûts n'est pas leur principale préoccupation.

Selon vous, les initiants ont donc un autre cheval de bataille que le financement de l'avortement ?

Bien sûr. Invoquer le coût de l'assurance-maladie, c'est profiter d'un thème qui préoccupe la majorité des Suisses et des Suissesses pour enrober ce qui est, en fait, une attaque directe contre l'avortement. Plusieurs intervenant-e-s dans ce débat l'ont prouvé, la question des coûts est anecdotique. Ce n'est pas l'avortement qui charge l'assurance-maladie.

Peut-on obliger un citoyen à financer un acte qu'il réprouve pour des raisons morales ou religieuses, au nom du principe de solidarité de l’assurance-maladie ?

La question de l’objection de conscience est importante. Cependant, toute société oblige ses membres à des participations financières qui ne sont pas forcément le choix de nombre d'entre eux, par exemple le financement de l’armée. Mais l'objection est une décision personnelle, prise par des gens qui vont au bout de leur réflexion, proposent une autre solution, mais ne se retirent pas du principe de solidarité de la société. La démarche des initiants est très égoïste et contraire à l'éthique.

La couverture par l’assurance de base de l’interruption de grossesse ne pousse-t-elle pas à une certaine banalisation de l'intervention ?

Ce n’est pas du tout ce que l'on a observé. Depuis que l’interruption de grossesse est devenue légale à certaines conditions et remboursée par l'assurance-maladie, le nombre d’interventions a plutôt baissé en Suisse. Le taux d'interruption de grossesse y est l’un des plus bas en Europe. En Suisse, l'avortement concerne également peu les très jeunes femmes, ce qui prouve que le système fonctionne bien, que les canaux de prise en charge et d’appui sont là pour répondre au problème et ne pas le banaliser.

Les initiants proposent le remboursement de l'interruption de grossesse par le biais d’une assurance complémentaire. Serait-ce envisageable ?

Non, c’est absurde. L’assurance complémentaire est une assurance facultative. Mais encore faut-il qu’un assureur soit intéressé à développer cette offre, ce qui n’est pas prouvé, et que le collectif d’assuré-e-s couvre ses propres frais. Et connaissez-vous beaucoup de femmes qui, dans leur vie sexuelle, "programment" un certain nombre d’avortements, calculant les coûts pour savoir si contracter une assurance en vaut la peine ? Moi, aucune !

En cas de fin du remboursement,  vous craignez un retour à des méthodes d’avortement clandestines et illégales…

Bien sûr. Face à un marché potentiel, on risque de voir se développer l'offre de médicaments moins chers, par exemple sur internet. Si les femmes sont incitées à se tourner vers des modèles moins coûteux mais dont un ne peut pas contrôler la qualité, tout le volet prévention, information et soutien sera perdu.                                                                               
En outre, ces alternatives pourraient créer des complications médicales, qui, elles, seraient prises en charge par l’assurance maladie… c’est une absurdité totale !

L'initiative vous semble donc discriminatoire pour toutes les femmes ?

Dans ce débat, ce sont les femmes qui sont victimes d’un jugement dépréciatif. Mais l'initiative touche particulièrement les plus fragiles et celles qui vivent dans les conditions socio-économiques les plus difficiles.
De plus, dans leur raisonnement, les initiants font comme si la contraception était absolument sûre. Or c’est une illusion ! Pour toutes les femmes actives sexuellement, il existe un risque d'être enceinte sans l’avoir voulu. Cela peut déboucher sur une acceptation de la femme ou du couple, mais ce n’est pas toujours le cas.                                                              

Propos recueillis par Jessica Vial

Lire aussi l'interview de Valérie Kasteler-Budde, co-présidente du parti évangélique genevois:

"L'avortement contredit le serment d'Hippocrate au coeur de la LAMal"

Publié

"Confiante, mais pas complètement rassurée"

Cette initiative est peu soutenue par le milieu politique. Elle serait rejetée à 58% selon le dernier sondage SSR. Etes-vous confiante pour la votation du 9 février ?

Plutôt confiante, mais pas complètement rassurée. Cette initiative surfe sur un certain nombre de tendances. Le fait d’attaquer la solidarité de l’assurance de base, la question de la responsabilité personnelle et tous ces beaux discours peuvent convaincre même des personnes qui ne sont pas a priori opposées aux droits des femmes à choisir ou non de mener une grossesse à terme.

L'initiative en bref

Le peuple et les cantons se prononceront le 9 février pour dire s'ils acceptent de retirer des prestations de la LAMal le remboursement des interruptions volontaires de grossesse.

Selon les initiants du texte, intitulé "Financer l'avortement est une affaire privée" l'avortement ne devrait pas figurer dans le catalogue des prestations couvertes par l'assurance-maladie obligatoire, financée par tous, car il ne s'agit pas d'une maladie.

Mots d'ordre des partis

Le Conseil fédéral et le Parlement rejettent l'initiative, que seuls l'UDC et le Parti évangélique soutiennent. Le texte est soutenu par des parlementaires UDC, PDC, PLR, PEV, UDF et des milieux religieux.

Certaines sections cantonales de l'UDC, notamment la vaudoise et la jurassienne, se distancient du parti national en recommandant le "non".