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Le propriétaire terrien, l'agriculteur démuni et le syndicaliste paysan

La saison des pluies ne tient pas ses promesses et le mil est encore très bas dans bien des champs du sud du Niger. [Guillaume Arbex]
La saison des pluies ne tient pas ses promesses et le mil est encore très bas dans bien des champs du sud du Niger. - [Guillaume Arbex]
Si les mauvaises récoltes menacent l'ensemble du monde agricole nigérien, tous n'ont ou n'emploient pas les mêmes moyens pour lutter contre la pénurie de vivres en période critique dite de soudure. Portrait croisé de trois hommes de la terre qui n'envisagent pas les mois à venir avec la même sérénité.

Le gestionnaire

Alhaji Yahaya Loushe reçoit dans son vaste et confortable salon. L'homme n'a pas les 500 ans de l'arbre du village, mais en impose autant. Il est le chef traditionnel du canton de Bandé qui regroupe 86 localités des environs de Magaria, la capitale du district, tout au sud du Niger. Fier de ses nobles racines comme de ses terres. "J'ai un quinzaine d'enfants et autant d'hectares de champs de mil, de sorgho, de niébé, etc.", clame-t-il en se rendant sur le chemin de ses terres les plus proches. Certes, les pluies se font attendre et ces carences en eau menacent les prochaines récoltes de mil, prévues pour novembre. "Regardez, le mil est encore bas pour la saison; ça ne présage rien de bon", prévient Alhaji Yahaya Loushe.

Alhaji Yahaya Loushe [Guillaume Arbex]

Le notable ne se démonte pas. Il a déjà anticipé une nouvelle année difficile: "J'emploie actuellement des ouvriers agricoles à la journée. Je les paie entre 1000 et 1500 francs CFA (env. 3 CHF) pour sarcler les champs et "faire le démariage", c'est à dire arracher les pousses les plus maigres pour accroître les chances de croissance des autres." Cette manière de cultiver ses champs et de miser sur plusieurs types de cultures - le plus souvent "associées" sur un même lopin - permettent au charismatique chef de Bandé de ne pas craindre de manquer. "J'ai encore suffisamment de mil récolté l'année dernière pour nourrir toute ma famille durant la période de soudure. Quant au surplus, il arrive que j'en donne aux habitants de la commune qui sont dans le besoin. Vous savez, il y a une grande solidarité entre nous..."

Le résigné

A quelques kilomètres de là, Madatchi, un village de 500 âmes, toujours sur la commune de Bandé. Le fatalisme semble avoir pris le pas sur la colère. Vivant exclusivement de l'agriculture comme plus de 80% des Nigériens, Sabi Bako soulève le petit toit de paille pointu qui couvre son grenier desespérément vide: "Nous ne sommes qu'en juillet et mes réserves de mil faites après les récoltes de novembre passé sont déjà épuisées." Plus rien à manger jusqu'à la prochaine moisson, sinon quelques feuilles ramassées alentours et bouillies dans de l'eau salée.

Sur son petit champ en bordure de la route poussiéreuse, même désolation. Sous un soleil de plomb, Sabi Bako touche presque avec affection une petite touffe verte à peine sortie du sol sablonneux: "L'année dernière à pareille époque, ce plan de mil atteignait 1,50 mètre et nous avions quand même eu des soucis de stock, alors cette année...", s'inquiète-t-il dans un haoussa qui a perdu son côté chantant. D'autant qu'il ne peut compter sur la générosité du chef de canton, car "ici, jamais nous n'avons obtenu l'aide de qui que ce soit, qu'il s'agisse d'un grand propriétaire avec des excédents ou d'organisations internationales". Sans cette solidarité pourtant affichée par le chef traditionnel, que faire? Livré à lui-même, Sabi Bako n'entrevoit aucune issue: "J'attends."

Le combatif

Illiassou Dandakoye pousse la lourde porte à deux battants du hangar. A l'intérieur, un trésor de guerre contre la pénurie alimentaire: un amoncellement de sacs de 100 kilos. "Ce sont des semences, des entrants (engrais), des céréales, autant de réserves que nous avons accumulées en nous organisant et en nous serrant les coudes", s'exclame le chargé de programme de Mooriben ("fini la misère" en langue djerma sonraie), l'association faîtière des organisations paysannes actives dans trois districts de l'ouest de Niamey. A Dantchandou comme dans d'autres localités de la région de Dosso, les adhésions de paysans - moyennant quelques francs par an - aux divers "groupements" du village se multiplient. Les avantages qu'ils retirent à être membre de l'organisation paysanne sont nombreux: "La principale force de notre réseau et qu'il est ancré au niveau micro-local, explique Illiassou Dandakoye. Nous menons toutes nos actions et nos programmes en fonction des besoins et demandes réels de nos membres." Au programme, toute une gamme de services: gestion des stocks de la banque céréalière, commande d'engrais, formation en "champs études paysans", allocation de micro-crédits ("warrantage"), appui technique, programme de récupération de terres de l'Etat, diversification des cultures, animation de la radio rurale, prospection de projets d'irrigation, etc. "La moitié des membres sont des femmes. En se consacrant au maraîchage par exemple, elles peuvent diversifier les revenus du ménage tout en assurant une production de cultures dites de "contre-saison". Une union paysanne qui, à Dantchandou pour le moins, semble en mesure de vaincre la crise alimentaire.

Guillaume Arbex et Laurent Burkhalter, de retour du Niger

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