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"Dom Juan", play-boy en caleçon à l'ère #metoo

Visuel de la pièce "Dom Juan ou le festin de pierre", mise en scène par Julien Basler. [facebook.com/theatrepitoeff - DR]
Théâtre: "Dom Juan" / Vertigo / 3 min. / le 24 mai 2018
A Genève, les Fondateurs présentent jusqu'au 2 juin au Théâtre Pitoëff leur version du héros de Molière. Quand le théâtre contemporain rencontre le classique, l'esprit est très très joueur. Un régal.

On attend Dom Juan, son valet Sganarelle. Rien ne se passe, rien ne semble prêt. La scène du Théâtre Pitoëff est vide. Des cartons et des accessoires sont empilés dans un coin. En coulisses, on entend des voix: "Personne n'a vu ma moustache?" Apparait François Herpeux, caleçon blanc et cheveux de play-boy à l'ancienne, façon Tom Selleck dans la série TV "Magnum". Il cherche sa moustache. Agacés, pressés, ses complices ne l'ont pas vue, trop occupées à vider les cartons et déplacer des tas d'habits.

Il y a Mélanie Foulon, Aline Papin et Aurélie Pitrat. Rajoutez le metteur en scène Julien Basler et la scénographe Zoé Cadotsch et vous obtenez Les Fondateurs.

La construction du spectacle

Ils ont une règle d'or, ces Fondateurs: au début de la représentation, la scène est vide et tout reste à faire: installer le décor, choisir les costumes, répartir les rôles…  Et François Herpeux qui n'a toujours pas dégotté son postiche!

Chez les Fondateurs, malicieuse troupe de théâtre contemporain, le spectacle, c'est la construction du spectacle. Et tous les dialogues entre les comédiens pour y parvenir. Quand tout est finalement construit et que la pièce pourrait démarrer, bien évidemment, elle s'arrête.

Un monument du théâtre

Sauf que là, pour la première fois, les Fondateurs ne construisent ni un dragon ni une sculpture de rondins, ni une fête d'anniversaire pour les enfants. Ils s'attaquent à un monument du théâtre classique. LE "Dom Juan" de Molière. Une pièce roborative qui n'est pas sous-titrée pour rien, le "Festin de pierre". C'est du lourd!

Le texte est écrit depuis 1665. Les spectateurs connaissent par cœur ou presque cette cavalcade d'un impénitent jouisseur qui court le jupon, ripaille dès qu'il peut et méprise le Ciel, même dans ses rêves: "Ah! n'allons point songer au mal qui peut nous arriver et songeons seulement à ce qui peut nous donner du plaisir!". François Herpeux a enfin retrouvé sa moustache de séducteur. L'histoire peut commencer…

Une prouesse

Belle surprise, avec ce Dom Juan, les Fondateurs n'ont pas abandonné leur principe tout en servant de façon merveilleusement joueuse le texte de Molière. Pêche d'enfer et débit rapide de chaud lapin. Dom Juan est pressé, Sganarelle est pendu à ses basques (excellente Aurélie Pitrat) et les deux autres comédiennes, Mélanie Foulon et Aline Papin, de soutenir le temps de ce périple libertin en jouant les quinze autres rôles de la pièce, de la bafouée fiancée Elvire au spectre du commandeur!

Une prouesse avec de la verve, de l'humour et un jeu hilarant de va-et-vient entre les personnages de Molière et les comédiens dans leur propre rôle de comédien.

Bousculer les classiques pour les redécouvrir

En adoptant les farces et attrapes de la commedia dell'arte où l'on s'adressait régulièrement au spectateur en commentant la pièce qui se jouait devant lui, les Fondateurs règlent leur compte à la sempiternelle querelle des anciens et des modernes. Oui, le théâtre contemporain peut se frotter à des textes classiques et leur offrir un souffle inédit et réinventer leurs méthodes. Oui, les metteurs en scène plus classiques ont tout intérêt à bousculer les monuments pour mieux les redécouvrir.

Quelques exemples récents: Robert Bouvier, metteur en scène plutôt respectueux de la lettre, qui revisite de fond en comble "Le Chant du cygne" de Tchekhov. A l'inverse, une Emilie Charriot disperse façon puzzle ce même auteur russe. Ou encore Christian Geoffroy Schlittler qui rit avec Labiche et sa "Cagnotte", Jonathan Capdevielle qui revêt la soutane de George Bernanos dans "Un Crime".  Et aujourd'hui ces Fondateurs. Ils livrent un Molière délicieusement vif. Et court. A peine 1h45. Ces coquins scient parfois du bois dans leurs spectacles maison. Ils n'ont pas pu s'empêcher de faire des coupes chez Molière.

Thierry Sartoretti/ld

"Dom Juan" au Théâtre Pitoëff de Genève jusqu'au 2 juin.

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