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"La Felicità", du théâtre en hommage aux enfants du placard

"La Felicità", un spectacle de Pablo Jakob Montefusco. [DR]
La Felicità / Vertigo / 5 min. / le 30 mai 2023
Au Théâtre du Jura à Delémont du 2 au 4 juin, la pièce "La Felicità" de l'auteur jurassien Pablo Jakob Montefusco retrace la vie des saisonniers italiens et de leurs enfants, cachés pour cause d'interdiction du regroupement familial.

Être un enfant. Et pourtant ne pas quitter l'appartement, ne pas crier ou chanter, chuchoter seulement; ne pas courir, on entendrait vos pas à l'étage du dessous. Guetter les pas dans l'escalier et apprendre à reconnaître les démarches familières, celles des voisins ou celles des inconnus. Craindre ces mêmes inconnus.

La vie d'un enfant caché de la Seconde Guerre mondiale, comme Anne Frank? Non, celle d'un enfant du placard, fils ou fille de saisonnier, interdit d'existence légale dans notre pays qui excluait le regroupement familial quand bien même les parents passaient jusqu'à neuf mois loin de leur pays d'origine. En Suisse, il y en aurait eu 50'000 au moins au fil des Trente glorieuses, entre 1950 et les années 1970.

On ne peut pas comparer le sort des Juifs et celui des saisonniers, italiens dans leur majorité, mais aussi espagnols et yougoslaves? Vous avez raison. Les premiers risquaient la mort, les seconds une expulsion suivie d'une interdiction de séjour. Toutefois, à hauteur d'enfant, le traumatisme est proche. Celui d'une enfance étouffée, confisquée, hors de la société qui vous entoure.

Une histoire suisse enfouie

Sur la scène du Théâtre du Jura, deux anciennes "enfants du placard" apportent leur témoignage à l'issue du spectacle "La Felicità". Le titre de cette pièce de théâtre signée de l'auteur jurassien Pablo Jakob Montesfusco est bien sûr ironique. Il n'y a peu de joie dans cette histoire de retrouvailles familiales le temps de fêter l'anniversaire du fils Davide, 30 ans. Les parents divorcés se revoient pour la première fois depuis longtemps, la tante a fait le voyage depuis les Pouilles et la sœur est venue de Paris, cette ville refuge pour échapper à la chappe du secret familial. Maman est en effet une enfant du placard, sa vie un mensonge qui cache une honte.

Au fil des disputes familiales, "La Felicità" rappelle une histoire suisse enfouie, un passé dont on peut avoir honte. Ainsi, les initiatives Schwarzenbach, ouvertement xénophobes. L'auteur de ces lignes se souvient de ses camarades italiens de l'école primaire, en larmes devant les caricatures noirissimes parues dans le journal La Suisse. Elles étaient signées Martial Leiter et se voulaient ironiques avec ces étrangers cramponnés à leur valise et alignés sur une arbalète. Comment comprendre l'ironie à sept ans? "La Felicità" nous parle aussi de ces cafés romands affichant naguère la mention "interdit aux chiens et aux Italiens".

Un désir de justice et un devoir de mémoire

"La Felicità" est la première pièce écrite et mise en scène par Pablo Jakob Montefusco, auteur associé au Théâtre du Jura. Il y a beaucoup de désir de justice, de devoir de mémoire et de vécu personnel dans ce spectacle où la majorité des comédiennes et comédiens sont d'origine transalpine.

Sur le plateau, ça parle français, italien, dialecte salentin (avec des sous-titres) et on se comprend toujours… quand bien même on ne s'entend pas forcément. Au Théâtre du Jura, le spectacle s'accompagne de repas, de chants, de danses et de tournois de cartes aux couleurs des Pouilles.

Thierry Sartoretti/ld

"La Felicità", Théâtre du Jura, Delémont, du 2 au 4 juin 2023.

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