Little Nemo rêve au Petit Théâtre de Lausanne

Chaque nuit, ça le reprend. Nemo rêve d’un pays merveilleux. Le voici à Slumberland, son palais extraordinaire, sa belle et intrépide princesse, ses bals somptueux, ses feux d’artifice, sa magie pure et son copain imaginaire Flip en guise de trouble-fête. Et chaque matin, c’est le même dénouement. Little Nemo tombe de son lit, grondé par ses parents qui l’accusent d’avoir trop mangé la veille.

"Little Nemo" est l’un des premiers héros de la bande dessinée mondiale. Un peu comme Tintin, ce petit garçon n’a pas beaucoup de personnalité, mais quelles aventures! Pas loin de 300 rêves incroyables ont été dessinés chaque semaine entre 1905 et 1911 par l’illustrateur Winsor McCay dans le supplément dominical du New York Herald. Bulles pour les dialogues, cases au format explosé au gré du récit, apparition de la couleur, inventivité absolue, "Little Nemo in Slumberland" c’est l’Alice au pays des merveilles du 20e siècle. Avec en scène mythique, le lit de Nemo qui grandit, grandit, grandit jusqu’à enjamber les gratte-ciel de New York. Le galop du pageot se termine comme il se doit par une chute sur la descente de lit.

Mille et une astuces

Comment porter un univers entier sur la petite scène du Petit Théâtre de Lausanne? On imagine les discussions fiévreuses entre le metteur en scène Christian Denisart, le scénographe Jean-Luc Taillefert, la costumière Karolina Luisoni et toute la troupe de la bien nommée Compagnie Les Voyages extraordinaires.

Au fil de ce théâtral "Little Nemo", on sent la gourmandise de Christian Denisart, fan dès l’enfance, à partager avec le public cette fabuleuse saga. Il aura fallu trouver mille et une astuces, trappes, décors doubles, accessoires, costumes formant personnages, illusions d’optique, maquettes ou encore changement d’échelles pour arriver à caser Slumberland et la chambre à coucher de Nemo sur les quelques mètres carrés du plateau.

Pouvoir du théâtre vs force imaginaire de la BD

Pari réussi? Presque. Il y a débat entre le pouvoir du théâtre et la force imaginaire de la BD. Chez Winsor McCay, les limites n’existent pas, hormis la taille des pages du Herald.

Un exemple: dans l’un de ses rêves, pour atteindre le palais de la princesse de Slumberland, Little Nemo doit traverser une forêt de champignons géants. Gare à lui s’il les renverse: ces derniers (vénéneux ou comestibles, on ne sait pas) sont très fragiles. Dans la BD, les champignons se dressent par centaines et ont des proportions de séquoias. Sur la scène du Petit Théâtre, ils se ramassent avec deux mains et pas besoin de panier.

Autre écueil: le gag du réveil brutal à la dernière case est idéal dans un format de BD hebdomadaire. Sur scène, où il faut raconter cette histoire d’un bloc d’une heure, pas question de reprendre la même formule. Elle casserait tout le rythme du récit. Il a donc fallu trouver des compromis pas toujours simples à saisir côté jeune public dès 7 ans.

Le plus de ce "Little Nemo", ce que ni la BD ni le dessin animé ni le cinéma (un nouveau film "Nemo" est en préparation chez Netflix) ne peuvent égaler, c’est bien sûr la présence physique des personnages. Iels sont là. Devant nous, en vrai et bien incarnés. C’est la force du théâtre. Nous faire vivre au présent un rêve jeune de 117 ans.

Thierry Sartoretti/aq

"Little Nemo", Petit Théâtre, Lausanne, jusqu’au 31 décembre; Nuithonie, Villars-sur-Glâne, les 11 et 12 février 2023; Le Reflet, Vevey, le 26 février 2023.