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"Harvey", le lapin pas si imaginaire de Jacques Gamblin

Jacques Gamblin dans la pièce "Harvey". [theatredecarouge.ch - Polo Garat]
L'invité: Jacques Gamblin "Harvey" / Vertigo / 20 min. / le 8 juin 2022
Au Théâtre de Carouge jusqu’au 19 juin, le comédien français Jacques Gamblin joue dans la pièce "Harvey" de l’Américaine Mary Chase, mise en scène par Laurent Pelly. Un joyeux divertissement théâtral.

D’abord, procurez-vous un chapeau. Un chapeau d’homme, assez large et profond pour y déposer tout ce qui va suivre. Ensuite, placez au fond du chapeau les éléments suivants, puisés dans le théâtre, le cinéma ou la littérature: l’humour suranné d’"Arsenic et vieilles dentelles", les rêveries métaphysiques d’"Alice au pays des merveilles" et quelques scènes de "Vol au-dessus d’un nid de coucou".

Agitez vos bras au-dessus du chapeau. Plongez-y une main et vous en sortirez Harvey.

Un lapin invisible

Harvey? Un grand lapin blanc d’à peu près deux mètres, ami pas si imaginaire de cet ivrogne sympathique et nonchalant qu’est Elwood P. Dowd, incarné par le comédien français Jacques Gamblin sur la scène du Théâtre de Carouge.

Harvey est invisible pour tout être humain, hormis Elwood. Il prend tout de même une sacrée place dans sa maison familiale où Vita (sœur d’Elwood) et Clémentine (sa nièce) doivent toujours réserver une assiette à table pour le léporidé géant. Harvey est en fait un pooka, animal mythologique issu des légendes irlandaises. D’où probablement le lien entre sa présence auprès d’Elwood et la consommation de whiskey potentiellement irlandais de ce dernier.

Lorsque Vita songe à faire interner Elwood pour hallucination et troubles psychotiques, rien ne va plus. Il semblerait qu’Harvey le pooka veille bel et bien sur son camarade, lequel a choisi de préférer "le charme à l’intelligence". Débute alors un va-et-vient entre maison familiale, clinique psychiatrique et virée dans les bars de la ville.

Un Molière pour Jacques Gamblin

"Harvey", la pièce, date de de la fin des années 1940. On la doit à la journaliste et dramaturge américaine Mary Cole Chase, fine plume du Colorado qui obtint à l’époque un Pulitzer pour sa pièce de théâtre, puis la reconnaissance d’Hollywood, James Stewart et Josephine Hull incarnant à l’écran Elwood et Vita en 1950. La comédienne reçut un Oscar de la meilleure actrice pour son rôle de Vita, après avoir triomphé six ans plus tôt dans "Arsenic et vieilles dentelles" avec pour partenaire Cary Grant.

Jouer dans "Harvey" porte chance. Aujourd’hui, Jacques Gamblin se voit récompensé d’un Molière, prix des professionnels de la profession, pour son incarnation bonhomme et zigzagante du gentil pilier de bar flanqué de son lapin pointure XXL.

Du théâtre d'un autre siècle

"Harvey" est un pur divertissement. Ses piques à l’encontre de la psychiatrie font aujourd'hui gentiment sourire alors que ses personnages féminins fleurent bon la naphtaline des programmes de "Au théâtre de soir". Dans "Harvey", histoire campée dans la bonne société de Denver, si l’on porte robe, on a ce choix des rôles: ingénue en quête de mari, bécasse, tantine frustrée ou brave femme au foyer qui attend le retour de son mari. La Castafiore n’est pas loin…

Une scène de la pièce "Harvey" de Mary Chase, jouée au Théâtre de Carouge dans une mise en scène de Laurent Pelly. [DR - Polo Garat]
Une scène de la pièce "Harvey" de Mary Chase, jouée au Théâtre de Carouge dans une mise en scène de Laurent Pelly. [DR - Polo Garat]

"Harvey", c’est du théâtre d’un autre siècle, à peine retouché pour le public de 2022, par le metteur en scène Laurent Pelly, habitué du monde de l’opérette et des classiques du théâtre (de Hugo à Offenbach en passant par Goldoni et Rossini) qui a choisi une option vaudevillesque à la Feydeau avec changements de décor très dynamiques, des portes qui claquent et des sonnettes qui tintinnabulent régulièrement.

Le tout est servi avec conviction et énergie par une dizaine de comédiennes et comédiens. A défaut de bouleverser votre vision du monde ou du théâtre, ce lapin géant ne vous cassera pas les pieds. Il est trop attentionné pour ça.

Thierry Sartoretti/aq

"Harvey" de Mary Chase,  mis en scène par Laurent Pelly, au Théâtre de Carouge, jusqu'au 19 juin 2022.

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