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Formidable, le comédien Roland Vouilloz est "Le Bizarre"

Scène tirée de la pièce "Le bizarre". [Théâtre St-Gervais - Isabelle Meister]
Le Bizarre / Vertigo / 6 min. / le 11 janvier 2022
Seul en scène, Roland Vouilloz incarne un homme à la marge, sans filtre, le verbe brut, écrit pour lui par Fabrice Melquiot et mis en scène par Jean-Yves Ruf. Du grand art théâtral à découvrir actuellement à Genève au Théâtre Saint-Gervais.

"Je sais pas comment c'est pour vous, mais si je ne meurs pas régulièrement, ça m'encombre, j'ai des renvois, je suis pas bien (…) Ma sœur elle a mouru quand elle était petite, d'agonie sévère, c'est de famille, on agonise et puis on meurt et puis on agonise et puis on meurt et puis au va au cinéma et puis on mange du pop-corn et puis on s'étouffe et puis on agonise et puis on meurt et puis c'est la vie, c'est les cycles comme on dit."

Drôle de gars ce Michel. Assis devant nous dans un coin de la scène. Assis mais pas tranquille. Il gigote, il rêve d'être normal. Peine perdue: dès qu'il prend la pose avec un sourire ou nous regarde, il a ce drôle d'air. Mi drôle mi inquiétant. Il est "Le Bizarre".

Récit d'une vie cabossée et solitaire

"A l'école, on me traitait de gros lard, gros tas, tafiole…". Michel, c'est le comédien Roland Vouilloz qui l'incarne. Formidable numéro d'acteur, jeu sur le fil, pour nous raconter cette vie cabossée et solitaire. Michel, on ne sait pas trop si c'est un grand philosophe des bancs publics, un gars qu'il faudrait enfermer dare-dare ou simplement notre part humaine de fragilité et d'incertitude. Il a la langue un peu brute, Michel. Il mélange parfois les mots avec les maux, il dit souvent "ça" et converse volontiers avec le fantôme de sa petite sœur apparue au dîner dans l'assiette des os de poulet.

Michel n'est pas seul. Du moins c'est ce qu'il dit. Il a rendez-vous. Au rayon flageolets du supermarché, il a rencontré une "femme de droite". Il l'attend. Est-ce qu'elle existe ailleurs que dans la tête de Michel? Pas sûr. "Le Bizarre" rêve de sensualité, de poulet fermier, de mort et de sexe. De chatouilles aussi. Il aime bien ce mot, Michel. Il dit que c'est un "mot valise". Dedans, il y a à la fois "chatte" et "couille". "Le Bizarre", c'est une pensée sans filtre, fascinante. Un flot de paroles souvent drôles, déroutantes aussi, immensément tendres. Roland Vouilloz, alias Michel, vous attrape et ne vous lâche plus une heure durant.

Une performance exceptionnelle

C'est la quatrième fois que le comédien se lance dans l'exercice du monologue, qui est au théâtre ce que la plongée en apnée est à la natation. "On ne s'y habitue jamais", déclare un Roland Vouilloz encore possédé par son personnage alors qu'il a regagné sa loge. Pour nous raconter ce Michel, texte écrit tout exprès pour Roland Vouilloz par le dramaturge Fabrice Melquiot, il fallait une mise en scène toute en finesse, capable de souligner les mots sans les écraser, usant lumières et bruits pour accompagner les mondes intérieurs de Michel.

Mission pleinement accomplie par le metteur en scène Jean-Yves Ruf et son équipe: créer l'écrin idéal pour une performance exceptionnelle d'acteur.

Thierry Sartoretti/ld

"Le Bizarre", à voir au Théâtre Saint-Gervais, Genève, jusqu'au 16 janvier 2022.

A Lausanne, Théâtre 2.21 du 25 au 30 janvier dans le cadre du festival de soli Singuliers pluriels.

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