Coluche, du Café de la Gare aux Restos du coeur

Grand Format

Ina via AFP - Jacques Chevry

Introduction

Né Michel Colucci en 1944, Coluche est décédé dans un accident de la route le 19 juin 1986. Retour sur le parcours atypique d'un petit voyou de quartier au grand coeur qui va secouer la société française et atteindre des sommets.

Chapitre 1
Putain de camion

Hemis via AFP - Bertrand Gardel

Si j'ai l'occasion, j'aimerais mieux mourir de mon vivant!

Coluche

19 juin 1986: Michel Colucci, 41 ans, décède dans un accident de moto à Opio dans le département français des Alpes-Maritimes. C'est un choc pour toute la francophonie: Coluche est mort!

Le drôle de clown à la salopette bleue rayée, t-shirt jaune et au nez peint en rouge qui aimait tant la provocation ne sera plus là pour dénoncer les injustices et défendre les défavorisés. Celui qui était revenu sur le devant de la scène après une période sombre au début des années 1980 est désormais devenu un immortel.

Humoriste, acteur et homme de cœur, Coluche était à la fois admiré, craint ou dénigré par cette société française encore un peu guindée qui l'avait vu débarquer au début des années 1970 sur de petites scènes parisiennes.

En à peine quinze ans, cet homme né dans un milieu défavorisé aura rempli l'Olympia, gagné un César du meilleur acteur, fait trembler le monde politique, scandalisé les bien-pensants, et fondé les Restos du Coeur.

Suite à son décès tragique, de multiples hommages lui sont rendus. On ne compte plus le nombre de rues, places, écoles, statues ou plaques commémoratives à sa mémoire. Il existe même une variété de roses, un astéroïde et une loi qui portent son nom.

Mais l'hommage le plus emblématique reste sans conteste "Putain de camion", la chanson que Renaud interprète sur la scène des Francofolies de la Rochelle quelques semaines après la mort de son ami et parrain de sa fille. Un texte très personnel dans lequel le jeune chanteur ne cite jamais Coluche, mais s'adresse directement à lui.

Chapitre 2
L'ancien voyou de Montrouge

Roger-Viollet via AFP - Patrick Ullmann

Quand j’étais petit à la maison, le plus dur c’était la fin du mois... Surtout les trente derniers jours!

Coluche

Né en 1944 à Montrouge, une ville de la banlieue de Paris, Michel Colucchi est le fils d'un immigré italien, qui meurt alors que le petit garçon n'a que 3 ans, et d'une mère française, fleuriste, qui se débrouille comme elle peut pour élever seule ses deux enfants. "Je ne suis pas un nouveau riche, je suis un ancien pauvre", dira Coluche.

En dehors de l'école qui ne le passionne pas beaucoup et où il fait déjà rire ses copains et professeurs, le jeune homme traîne dans son quartier et commet de petits larcins. Un jour, avec un copain, il tente de voler un sac à une vieille dame et se fait tirer dessus par un passant. Il a 15 ans et il lui faudra du temps pour raconter cet épisode dont il a eu honte après coup.

Son certificat d'école primaire en poche, il prend des petits boulots qui ne durent jamais bien longtemps, traîne toujours dehors, mais désormais dans le centre de Paris.

Il joue de la guitare et chante sur les terrasses avant de se produire dans quelques cabarets où il travaille également comme barman ou régisseur. Il fait la connaissance de Georges Moustaki qui l'héberge et le soutient financièrement. C'est à ce moment-là qu'il choisit un pseudonyme qui ne le quittera plus: Coluche.

Coluche en 1973 sur la scène de l'Olympia. [Roger-Viollet via AFP - Patrick Ullmann]

Puis c'est la rencontre avec Romain Bouteille, auteur de théâtre qui est à l'origine du Café de la Gare. Ce café-théâtre parisien - "premier et dernier théâtre en anarchie réelle", selon les termes de son fondateur - ouvre en 1969 du côté de la gare Montparnasse.

Il réunit des jeunes comédiens du moment dont certains connaîtront une belle carrière à l'image d'un Patrick Dewaere, Miou-Miou (la compagne d'alors de Coluche) ou Martin Lamotte. La troupe est joyeuse et adopte un mode de vie défini par Coluche comme un "copinage en concubinage".

Lors d'une représentation, Véronique Kantor, une étudiante en journalisme qui couvre les soirées du Café de la Gare, tombe sous le charme de Coluche. Elle deviendra sa femme quelques années plus tard et ils auront ensemble deux garçons: Romain et Marius.

Mais les problèmes d'alcool de Coluche, qui le rendent parfois très violent, viennent trop souvent gâcher l'ambiance. Suite à une bagarre avec son ami Patrick Deware qui a failli mal se terminer, on lui demande de quitter la troupe.

Fin 1971, Coluche monte une nouvelle troupe et fonde un autre café-théâtre: "Le vrai chic parisien". Leur premier spectacle s'intitule "Thérèse est triste", une suite de sketchs parodiques avec seins nus et fesses à l'air au programme. Le personnage de Coluche commence à prendre forme, mais une fois de plus, on le pousse vers la sortie, toujours à cause de ses addictions.

Chapitre 3
Le début de la réussite

C'est l'histoire d'un mec...

Coluche

Coluche décide donc de se lancer en solo et un premier sketch à la télévision va révéler à la France toute l'étendue de son talent comique.

Nous sommes le 5 mai 1974, soir de l'élection présidentielle. Dans une émission de variété entrecoupée d'allocutions politiques, Coluche joue, juste avant le discours de Frédéric Mitterrand, "L'histoire d'un mec", un sketch qui met en scène un personnage peu sûr de lui, qui s'exprime mal et qui tente vainement de raconter une histoire drôle.

>> A voir, le sketch "C'est l'histoire d'un mec" de Coluche présenté dans l’émission "A bâtons rompus" le 20 avril 1974 (Archives RTS) :

L'humoriste français Coluche en 1974 sur le plateau de l'émission à Bâtons rompus. [RTS]
A bâtons rompus - Publié le 20 avril 1974

La machine à succès est en marche. Début 1975, on le retrouve à l'affiche de l'Olympia pour son spectacle "Mes adieux au music-hall".

Cette même année, son sketch "Le Schmilblick" fait de lui une star. Il s'agit d'une parodie du célèbre jeu télévisé "Le Schmilblic" animé par Guy Lux et Christine Dejoux et qui consistait à demander à des spectateurs de découvrir un objet mystère.

Dans son sketch, Coluche joue tour à tour tous les candidats qui tentent, sans succès, de trouver cet objet pas si mystérieux que cela puisque "le Schmilblick est rond, il contient du jaune, il tient dans la main, on peut le faire cuire de différentes façons et un navigateur le faisait tenir debout."

"Le Schmilblick" permet au comique à la fois de tourner en dérision les jeux télévisés et de faire, à travers une galerie de personnages très caricaturaux, une sorte de portrait sociologique de la France.

Chapitre 4
Toujours grossier, jamais vulgaire

Il faut cueillir les cerises avec la queue. J'avais déjà du mal avec la main!

Coluche

Avant lui, la plupart des humoristes français, Fernand Reynaud en tête, se moquaient avec bienveillance d'une France rurale. Mais Coluche va inventer une nouvelle manière de rire. Dans les années 1970, le Français moyen est désormais un citadin, et Coluche qui se disait lui-même "inculte et prolo" décide d'incarner ce beauf de mauvaise foi, un peu braillard, un peu raciste, et qui s'abreuve de jeux télévisés et de publicités.

Un rôle qui permet à l'humoriste de pointer à la fois les inégalités sociales et les injustices, et de s'attaquer aux tabous et aux valeurs morales et politiques du moment.

Mais c'est aussi et surtout par le ton et le style employés que Coluche innove. Les mots sont volontairement provocateurs, grossiers et percutants. Tout le monde passe sur le grill, que ça soit les politiciens, les flics, les fonctionnaires, les publicistes, les journalistes...

>> A voir, Coluche répond à trois journalistes suisses (Jean-Charles Simon, Edmée Cuttat et Pascal Schouwey) lors de l'émission "Le trèfle d'or" en 1980, dans une parodie de l'émission télévisée française "L'Heure de vérité" :

L'humoriste français Coluche dans l'émission Trèfle d'or en 1985. [RTS]
Trèfle d'or - Publié le 2 novembre 1985

A travers des sketchs très rythmés avec des "punchlines" en cascade - une nouveauté - , il provoque et s'autorise une liberté d'expression totale et sans limites, tout en s'appuyant sur les clichés les plus communs.

Ses passages à la télévision ou à la radio sont à la fois attendus et craints. Son impertinence lui vaut d'ailleurs un renvoi d'Europe 1 où il coanimait une émission, suivi de peu par un renvoi de RMC où on l'avait l'embauché en lui demandant expressément d'épargner la religion et la famille princière de Monaco, actionnaire de la chaîne. Son "Bonjour, nous sommes en direct du rocher aux putes" (en référence au rocher de Monaco) ne passera pas la rampe.

Aujourd'hui encore, même si certains passages ont vieilli et font parfois grincer des dents ("Le viol de Monique", "le CRS arabe", "Les Flics" ou "Si j'ai bien tout lu Freud"), les sketchs de Coluche continuent de faire mouche et de faire rêver les nouvelles générations d'humoristes qui n'osent ou ne peuvent, c'est selon, plus user de la même liberté d'expression.

Chapitre 5
Agitateur politique

AFP - Pierre Guillaud

Je ne suis ni pour, ni contre, bien au contraire.

Coluche

"Moi j'ai lancé cette candidature comme une connerie. Si elle a pris cette importance, c'est pas de ma faute. Si les gens sont prêts à voter pour un mec qui veut pas être élu, c'est pas de ma faute, c'est la faute de ceux qui font de la politique d'habitude", explique Coluche lors d'une interview de la télévision suisse en 1980.

Parti comme une plaisanterie avec pour slogans "Tous ensemble pour leur foutre au cul" et "avant moi, la France était coupée en deux, avec moi, elle sera pliée en quatre", Coluche, soutenu par le journal satirique Charlie Hebdo, se porte candidat pour la présidentielle française de 1981.

Il faut dire que l'humoriste a toujours raillé les politiciens à propos de leurs mensonges, promesses électorales non tenues, manque d'actions ou ambitions personnelles. "Les politiciens, il y en a, pour briller en société, ils mangeraient du cirage", dit l'humoriste dans son sketch "Le chômeur".

>> A voir, une interview réalisée par la télévision suisse en 1980 dans laquelle Coluche affirme son désenchantement vis-à-vis de la classe politique et sa surprise quant au soutien populaire qui accompagne sa candidature à l'élection présidentielle de 1981 :

Coluche en 1980.
Un jour une heure - Publié le 28 novembre 1980
Coluche, lors d'une conférence de presse en lien avec sa candidature pour les élections présidentielles françaises en 1981. [AFP - Pierre Guillaud]

Mais face à l'ampleur que prend sa candidature - les sondages le créditent de 16% de votes au premier tour - le monde politique français s'affole.

Les deux principaux candidats, Valéry Giscard d'Estaing et François Mitterrand, lui envoient des émissaires pour lui demander de se retirer. On le presse de tous les côtés. Il reçoit même des menaces de mort. Le 16 mars 1981, il finit par jeter l'éponge, un peu dépassé par ce qui lui arrive.

Car au départ, Coluche ne voulait pas devenir président. Sa candidature au premier tour devait servir "à faire un bordel suffisant dans les médias et dans les partis politiques pour que les types, j'espère, révisent la Constitution française", explique-t-il à la télévision suisse.

Débute alors une période sombre pour l'humoriste qui quitte un moment Paris pour la Guadeloupe. Une période marquée par la drogue, l'alcool et la dépression. Son divorce et le suicide de son ami Patrick Dewaere avec une carabine qu'il lui avait offerte n'aident pas.

Il continue néanmoins à vouloir jouer son rôle d'agitateur politique en participant à des émissions de télévision, comme ce 18 juin 1983 où Michel Polac lui consacre un "Droit de réponse" sous le titre de "Peut-on se débarrasser de Coluche?". Face à l'accueil hostile qui lui est fait par certains invités, en particulier Jean-Yves Lafesse, Coluche mime, en direct, son propre suicide par arme à feu avant de quitter le plateau quelques minutes plus tard.

Pas facile pour l'humoriste alors au creux de la vague de se faire critiquer.

En septembre 1985, dernier gros coup d'éclat de Coluche lorsqu'il monte un canular avec son ami Thierry le Luron. Face au mariage hypermédiatisé d'Yves Mourousi - journaliste et présentateur du journal télévisé dont l'homosexualité était connue dans le petit milieu parisien - et de Véronique d'Alençon, Coluche et Le Luron organisent leur propre mariage.

Robe de mariée blanche pour Coluche, costard pour Le Luron, les deux hommes scellent leur union "pour le meilleur et pour le rire" à Montmartre après s'être baladés dans les rues de Paris à bord d'une calèche. Plus tard au Fouquet's, ils déclarent: "notre mariage est bidon. Nous n'avons pas peur de le dire, nous".

Le canular de mariage entre Thierry Le Luron et Coluche, célébré le 25 septembre 1985. [AFP - Georges Bendrihem]

Chapitre 6
Un César du meilleur acteur

AFP - Pierre Verdy

Le cinéma français vit de ses comédies et récompense ses drames.

Coluche

Bien évidemment, le monde du cinéma n'allait pas bouder un artiste tel que Coluche. Au départ, on le voit dans des petits rôles avant qu'il ne tienne le haut de l'affiche au côté de Louis de Funès dans "L'aile ou la cuisse" en 1976.

En tout, Coluche a joué dans une vingtaine de films, essentiellement des comédies ("La vengeance du serpent à plumes", "Banzaï","Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ", "Inspecteur la Bavure" ou encore "Le bon roi Dagobert"), certaines plus réussies, d'autres beaucoup moins. En 1977, il s'essaye même à la coréalisation avec "Vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine".

C'est en 1984 qu'arrive la consécration de la part du monde du 7e art. Coluche reçoit le César du meilleur acteur pour son rôle dans "Tchao Pantin". Un film de Claude Berri dans lequel il interprète un pompiste qui, meurtri par un passé douloureux, plonge dans l'alcool et la drogue.

Un rôle à contre-emploi pour celui que l'on avait l'habitude de voir dans des comédies, mais qui n'est pas si éloigné de ce que vit alors l'homme. Stupéfiant dans son interprétation, Coluche montre ainsi qu'il peut aussi imposer son jeu d'acteur dans un registre dramatique. Il n'aura malheureusement l'occasion de ne tourner que dans un deuxième film de ce genre avec "Le fou de guerre" de Dino Risi.

Coluche dans le film "Tchao Pantin" de Claude Berri. [ollection ChristopheL via AFP - Bernard Prim]

Chapitre 7
La voix des oubliés

AFP - Adrien Morlent

Je voudrais rassurer les peuples qui meurent de faim dans le monde: ici, on mange pour vous.

Coluche

Dénoncer les injustices et la pauvreté a toujours été important pour ce fils d'immigré italien issu du prolétariat. Mais arrive un moment où cela ne lui suffit plus. Durant les dernières années de sa vie, Coluche passe donc à l'action en mettant à profit sa notoriété.

C'est ainsi qu'en 1984, il participe à la création de SOS Racisme. On le verra désormais arborer le fameux logo de l'association: une main jaune flanquée du slogan "Touche pas à mon pote".

En 1985, il soutient "Chanteurs sans frontières" qui s'engage contre la famine et on l'entend sur la chanson "Ethiopie", écrite par Renaud.

Et puis finalement, au début de l'hiver 1985-1986 , il lance en direct sur Europe 1, lors d'une émission qu'il anime quotidiennement, une "petite idée" comme il la présente lui-même. Il s'agit de mettre sur pied une structure permettant une aide alimentaire et d'urgence durant l'hiver pour les sans-abris et les plus démunis. Une sorte de cantine gratuite qui fonctionnerait grâce à des dons. Les Restos du coeur viennent de voir le jour.

Une première campagne a lieu entre décembre 1985 et mars 1986. En parallèle, Coluche demande à Jean-Jacques Goldman de composer un tube fédérateur qui doit permettre de récolter des dons. Il cherche également à réunir autour de lui des artistes pour enregistrer la chanson et partir bénévolement dans une tournée au profit des Restos du Coeur.

Selon la légende, dans un premier temps, Coluche aurait fait face à de nombreux refus de la part des artistes et se serait exclamé: "vous êtes vraiment une bande d'enfoirés". La future troupe de célébrités responsable de récolter des dons venait de se trouver un nom.

Après la mort de Coluche qui a lieu quelques mois plus tard, les Restos du coeur continueront à fonctionner. Et trente-cinq ans plus tard, la "petite idée" de Coluche, qui n'était pas faite pour durer, est devenue une institution indispensable pour des milliers de gens.

Difficile de dire que c'est une bonne nouvelle, mais cela permet de garder vivant le projet qui a peut-être le plus compté aux yeux de Michel Colucci, un homme au grand coeur.

>> A écouter aussi, l'interview de Jean-Claude Lamy, spécialiste de Coluche, qui a retracé la vie de l'humoriste provocateur dans un ouvrage :

L'écrivain, journaliste et éditeur français Jean-Claude Lamy. [©Yves Tennevin]©Yves Tennevin
Vertigo - Publié le 18 juin 2021

T'étais un clown mais t'étais pas un pantin. Enfoiré on t'aimait bien. Maintenant on est tous orphelins.

Extrait de la chanson "Putain de camion" de Renaud