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"The Big Bukowski", hommage théâtral au poète des caniveaux

Philippe Mathey, Lionel Brady et Julia Batinova dans "The Big Bukowski" sur la scène du Théâtre des Amis, à Carouge (GE). [Théâtre des Amis - Daniel Calderon]
Big Bukowski / Vertigo / 9 min. / le 10 juin 2021
A Carouge, Théâtre des Amis, jusqu’au 27 juin, le metteur en scène Julien Tsongas tire le portrait de Charles Bukowski, l’écrivain le plus ivrogne des lettres américaines. "The Big Bukowski" est un spectacle de fan en mode biographique.

Charles Bukowski! Il y a l’œuvre, abondante, fleuve: poésie, romans, nouvelles, mémoires, récits. Il y a le personnage, créé, peaufiné par le principal intéressé. Un vrai caractère de théâtre, une bête des plateaux TV. Pas surprenant de le retrouver dans "The Big Bukowski" au Théâtre des Amis à Carouge. Charles Bukowski, mort en 1994, est bien vivant sur scène jusqu’au 27 juin.

Charles Bukowski! D’un côté la bouteille et l’ivresse permanente. De l’autre une grossièreté soigneusement entretenue dans les pires rades de Los Angeles ou dans ce port de San Pedro où il aimait traîner. Qu’il ait pu parvenir à l’âge respectable de 73 ans tient du miracle.

Charles Bukowski (1926-1994) sur le plateau de l'émission "Apostrophes" en 1978. [Aurimages via AFP - Ulf Andersen]
Charles Bukowski (1926-1994) sur le plateau de l'émission "Apostrophes" en 1978. [Aurimages via AFP - Ulf Andersen]

Ivre, il quitte le plateau TV

Rappelez-vous son apparition mémorable dans une émission télévisée française en 1978. Il est invité chez Bernard Pivot, dans "Apostrophes". A l’époque, ça se passait encore en direct: Charles Bukowski vide trois bouteilles de blanc. Et puis n’en peut plus. Il plante l’animateur et quitte le plateau en titubant… Un geste à la Gainsbarre qui colle à son aura de poète des caniveaux.

Charles Bukowski avait tout pour plaire au rock’n’roll et au cinéma. On le retrouve cité dans des chansons ou à l’origine de films savoureux: "Les contes de la folie ordinaire" avec Ben Gazzara, "Barfly" avec Mickey Rourke. Deux sacrées gueules d’acteurs pour incarner celui qui se dépeignait volontiers comme un gros dégueulasse.

Sur sa tombe il y a gravé "Don’t Try", "N’essaie pas". Avec le recul, on peut interpréter la phrase de deux manières: l’écriture ça vient naturellement ou ça ne vient pas, il ne faut pas essayer de s’y mettre. Ou alors, message post mortem: ne tentez même pas de me ressembler, ce serait du suicide.

Sa part féminine

Aujourd’hui, sur la scène carougeoise, il faut trois personnes pour faire le tour du monstre. Pas moins. Lionel Brady incarne sa jeunesse soulographe. Philippe Mathey porte sa vieillesse soulographe. Et Julia Batinova dévoile sa part féminine soulographe. Car oui, pour le metteur en scène Julien Tsongas, Charles Bukowski, capable de se battre avec ses compagnes et autres rencontres d’une nuit, avait sa part féminine. Sous la peau du crocodile flottant dans son marais de whisky et de Budweiser, il y a le petit Charles, battu comme plâtre par son père, lâché par sa mère, mangé par l’acné, amoureux malheureux maladroit.

Des trois Bukowski genevois, c’est Philippe Mathey qui convainc le plus. Avec sa voix grave et claire et cet air madré de celui à qui on ne la fait plus depuis longtemps.

Une première scène de drague lourde s’avère assez malaisante, manière de rappeler que l’artiste était quand même une sacrée enflure. Puis "The Big Bukowski" joue la carte biographique. On passe de l’enfance d’Heinrich Karl (il est né en Prusse) à l’âge mur de Charles, facteur, plongeur, buveur, avec des répliques grappillées dans ses écrits et autres interviews.

Spectacle de fan

La pièce délivre aussi quelques poèmes, en anglais, sans trop convaincre. Il y manque du grain, de la saveur, peut-être l’haleine du vieux filou pour que ces vers percutent vraiment. "The Big Bukowski", on le sent, est un spectacle de fan. Avec un souci de rendre toute la dignité possible à cet écrivain qui de son vivant avait pris le parti de l’indignité. Quitte à dépasser des limites qu’on ne lui pardonnerait sans doute pas s’il vivait aujourd’hui. A vouloir trop bien faire, à nous le rendre fréquentable, ce spectacle passe peut-être à côté de sa cible. Bukowski reste peut-être… too big.

Thierry Sartoretti/mh

"The Big Bukowski", Théâtre des Amis, Carouge (GE), jusqu'au 27 juin.

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