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Au théâtre de Vidy, une immense Adèle Haenel plonge dans "L’Etang"

L'Etang, de Gisèle Vienne à Vidy-Lausanne jusquʹau 12 mai 2021.
Estelle Hanania
Vidy Théâtre Lausanne [Vidy Théâtre Lausanne - Estelle Hanania]
LʹEtang / Vertigo / 8 min. / le 6 mai 2021
A l’affiche de Vidy-Lausanne jusqu’au 12 mai, "L’Etang" de l’écrivain suisse Robert Walser devient un formidable portrait de l’adolescence mis en scène par Gisèle Vienne et joué par le duo Adèle Haenel et Ruth Vega-Fernandez. Du grand théâtre.

Un cube de moquette blanche. Avec au centre, ce lit défait, en bataille. Un symbole d’adolescence avec des emballages entamés, bouteilles à moitié vides et fringues éparses sur le sol telles une barrière de corail pour se protéger de l’océan des adultes. Sur ce lit, on découvre d’abord une communauté de mannequins à taille humaine. Des créatures figées, mortes, évacuées par un technicien de plateau. Premier frisson devant cette vision entre vie et mort.

Débarque ensuite le duo de comédiennes. Avec des mouvements si lents, si chloroformés, qu’elles semblent vivre en apesanteur. Ruth Vega-Fernandez, perruque de domina, semble sortir de ce vieux film de Russ Meyer où des catcheuses sexy roulent en Porsche et règlent leur compte à des abrutis rednecks. Elle joue la mère, les mères. Et même le père. On en perd un peu nos repères et c’est tant mieux. "L’Etang" avance sur le registre de l’ambivalent, du flou, du pas net…

Un tour de force

Et voici Adèle Haenel, pliée de douleur intérieure, un corps trop grand dont elle ne semble pas savoir quoi faire, veste à capuche et survêt blanc Tacchini comme une armure. Une ado, un ado ? Là aussi, on ne sait plus. Elle incarne à la fois Fritz, celui qui va simuler son suicide pour tester l’amour de maman, plus Klara et Paul, soit la sœur et le frère de Fritz. Son jeu tient du numéro de ventriloquisme, de l’instabilité permanente. C’est un tour de force, une performance fantastique. Ses voix se font tour à tour graves, aiguës, plaintives, affirmées, sadiques, minaudantes. Le malaise est palpable.

Cette histoire comprend des non-dits qui rampent dans les sombres sous-sols de la conscience. Cette piécette de théâtre (à peine vingt pages de texte dans la version poche de la maison d’édition Zoé) s’appelle "L’Etang". A vivre ce qui se passe sur le plateau de Vidy-Lausanne, on la rebaptise "La créature du lagon noir". Au départ, ce texte de 1902 a le ton de la farce un peu grinçante. La metteuse en scène Gisèle Vienne a pris le parti résolu de plonger dans le côté obscur de la farce. Et nous, on s’embarque. Emportés par une formidable musique qui semble annoncer l’apocalypse et fait pleinement corps avec les actrices, les lumières et le décor.

Douleur, fantasmes, inceste

Mais qu’est-ce que Robert Walser, alors jeune écrivain biennois de 24 ans, a bien voulu dire avec cet "Etang"? Personne ne le sait, à part sa sœur adorée Fanny. C’est à elle, et à elle seule, qu’il offre ce texte écrit sous la forme d’une pièce de théâtre, avec dialogues et didascalies. C’est l’unique texte en dialecte de cet écrivain alémanique bientôt adulé par Franz Kafka, Walter Benjamin, Robert Musil ou encore Frank Wedekind, la crème avant-gardiste de la littérature germanique de l’époque.

Fanny a dû comprendre les enjeux et les messages cachés de cet "Etang" où nagent, sous la surface du rire, de la douleur, des fantasmes ou de réels faits d’inceste. On peut voir ce texte comme une lettre ou une confession. Fanny n’a jamais révélé ses clés secrètes. Elle a toutefois accepté de publier ce texte intime après la mort de son frère. Un Robert Walser interné en asile psychiatrique qui n’écrivait plus, décédé à 78 ans en 1956 au terme d’une longue marche en solitaire dans les neiges d’Appenzell. Exactement comme un de ses propres personnages poète.

Revisité par Gisèle Vienne, "L’Etang" a été retraduit en français pour mieux se fondre dans ses créations qui convoquent autant le théâtre que la danse, l’installation et la musique. La langue est contemporaine et cette lutte douloureuse, aussi bien intérieure qu’extérieure, qu’est l’adolescence y trouve sa pleine mesure avec des comédiennes exceptionnelles dans leur art de marier les mots avec les maux. La parole avec le corps.

Thierry Sartoretti/olhor

"L'Etang", au Théâtre de Vidy-Lausanne, jusqu’au 12 mai. Bâle, Kaserne, les 19 et 20 mai. Genève, La Comédie, du 10 au 13 novembre.

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La Fête de la danse dans dix villes romandes

La Fête de la danse se déroule depuis mercredi dans des dizaines de villes dans toute la Suisse  jusqu'à dimanche. Dix villes romandes participent à cette 16e édition, déclinée sous toutes les formes.

La Fête revient sur le terrain après une édition 2020 complètement virtuelle. Parmi les artistes à suivre, on peut citer Teresa Vittucci, récompensée par un Prix suisse de danse pour sa pièce "Hate me, tender" à la Maison des Arts du Grütli à Genève, "L’Étang" du Biennois Robert Walser au Théâtre de Vidy ou encore Jeanne Gumy et la Cie Bloom à l'espace Jean Tinguely - Niki de Saint Phalle à Fribourg.

Uniquement en ligne, les spectateurs pourront par exemple découvrir "Dance Trail" de Gilles Jobin, sous forme d’application. La Fête de la danse, c’est aussi des cours et des ateliers dans chaque ville, dont certains rendez-vous ont lieu dans les jardins de particuliers.

Avec son "Swiss Dance Awards on Tour", le rendez-vous annuel de la danse permet de découvrir la création contemporaine. Les lauréats des Prix suisses de la danse 2019, dont La Ribot par exemple, dévoileront ainsi leur travail sous différentes formes allant du spectacle, au film en passant par le podcast, le workshop ou l'événement online.