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"Irina", autoportrait théâtral d’une enfant placée

"Irina" de Marika Dreistadt, sur la scène du théâtre Arsenic à Lausanne en 2021. [Théâtre Arsenic - Vicky Althaus]
L'invitée: Marika Dreistadt "Irina" / Vertigo / 25 min. / le 19 mai 2023
Mis en scène par Marika Dreistadt et Simon Guélat, joué jusqu'au 27 mai à la Comédie de Genève, puis à l’Usine à gaz à Nyon, le jeudi 1er juin, "Irina" raconte, à travers ses mots, la vie d’une adolescente de 17 ans placée en famille d’accueil. Un spectacle d’une justesse et d’une finesse rares.

Un lit défait, des habits épars, quelques paquets entamés sur le sol, chips, crackers… et ce portable ouvert pour les conversations Skype ou la playlist de circonstance. Nous sommes dans la vie et dans la chambre d’Irina.

Irina se trouve là, face à nous. 17 ans, jeune fille aimant la danse et la musique et se projetant dans un avenir plutôt artistique. Une jeune fille normale? Oui. Une belle personne. Avec des rêves, des envies, des pensées. Encore un point: depuis l’âge de 1 an et demi, Irina vit placée dans une famille d’accueil.

"Irina", le spectacle, est un autoportrait. Celui de la vraie Irina. A travers ses mots, sa prose (elle écrit), ses souvenirs exacts, reconstitués ou imaginés. Il y a cette maman dans les limbes qui ne peut plus s’occuper d’elle. Ce papa inconnu qui change de nom ou de tête à chaque évocation. Il y a ses frères, ses sœurs, sa famille d’accueil, sa première famille, tantes et cousines, les éducateurs, psychologues, assistantes sociales ou encore juge, qui la suivent depuis qu’elle sait parler.

"Irina", de Marika Dreistadt. [Théâtre Arsenic - Vicky Althaus]

"Ces enfants grandissent trop vite"

"Les enfants placés peuvent bien grandir, eux aussi. Ce qui est sûr, c’est qu’ils grandissent trop vite. Dès leur plus jeune âge, ils doivent mettre des mots sur leurs maux", explique la comédienne et metteuse en scène Marika Dreistadt. Sa propre maman est la tante d’Irina.

"Irina", le spectacle, c’est aussi une histoire intime racontée de manière chorale par des personnes de confiance avec les mots d’une adolescente. Sur scène, avec Irina, voici Viviane Pavillon et Raphaël Defour. Ils portent la parole d’Irina et incarnent ses souvenirs. Histoires de passage au tribunal, de visite dans les locaux de l’ASE (l’organisme de placement et de suivi des enfants, en France), discussion entre sœurs, sms à Noël et processus commun d’écriture de ce spectacle entre la jeune autrice et sa grande cousine metteuse en scène.

Juste et sensuel

Hasard, ce spectacle créé en 2021 à l'Arsenic de Lausanne est arrivé à maturité juste après l’affaire Mia, cette fillette enlevée par un commando opposé aux placements d’enfants et retrouvée avec sa maman à Sainte-Croix. Mais le théâtre ne vit pas au rythme de l’actualité. Il peut toutefois l’éclairer. Rappeler que la vie ne se dépeint ni en noir et blanc ni en quelques mots rapidement balancés dans la rubrique des faits divers.

Rarement spectacle sur l’adolescence et sujet délicat, casse-gueule, n’aura sonné aussi juste et si sensuel. Oui, vous avez bien lu: sensuel. Car "Irina" est aussi une histoire de résilience, de joie et d’envie de vivre, magistralement interprétée, scénographiée, éclairée, mise en sons et en scène. Parfois le théâtre peut transformer. Le public qui assiste à la représentation. La troupe qui se réunit pour cette création. Et le chroniqueur qui vous en parle. "Irina" appartient à cette catégorie rare et précieuse de spectacles. Merci.

Thierry Sartoretti/mh

"Irina", de Marika Dreistadt, Comédie de Genève jusqu'au 27 mai puis le 1er juin 2023 à l'Usine à Gaz de Nyon

Un article publié en mai 2021. Mis à jour le 23 mai 2023.

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