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"Madone", quand la bonté apparaît sur un plateau de théâtre

"Madone" de Dorian Rossel et Delphine Lanza. [forum-meyrin.ch/ - Romain Huck]
Madone / Vertigo / 5 min. / le 22 septembre 2020
Un spectacle comme une rêverie philosophique. Dans "Madone", Delphine Lanza et Dorian Rossel partent en quête d’un mystère plus puissant que le Bien et le Mal. A découvrir au Forum-Meyrin ces jours puis en tournée romande.

"Ça vous arrive aussi, parfois, de lire un poème. Et qu’il soit l’exact reflet de la question que vous avez à l’intérieur de vous à ce moment-là. Précisément."

La voix d’une comédienne au milieu d’un cube de plaques de liège aux proportions d’un hall de gare ou d’une salle d’exposition. Quelques morceaux en charpie forment de petits tas de-ci de-là. Décor austère, pénombre mystérieuse. Ainsi débute "Madone", la nouvelle création du duo Delphine Lanza & Dorian Rossel.

Oui, on peut être touché par un poème, y trouver réponse, ou même question, à l’instar des mots précédemment cités du poète portugais Fernando Pessoa. On peut aussi être subjugué par un tableau.

Un trésor d'humanité

Un beau jour de 1955 à Moscou, l’écrivain soviétique Vassili Grossman, se retrouve face à la "Madone Sixtine", un tableau signé du peintre Raphaël. Depuis sa création à la Renaissance, ce tableau a connu une vie mouvementée: parti d’Italie pour Dresde, bien plus tard caché par les nazis, dérobé par l’Armée rouge et finalement rendu à l’Allemagne de l’Est après son exposition dans un salon moscovite.

Mais qu’importe l’historique de cette peinture et son long périple égrené malicieusement par l’un des sept comédiens et comédiennes de "Madone". L’essentiel est ailleurs: voici le portrait d’une mère et de son enfant. Vassili Grossman, éprouvé par la guerre, l’holocauste, les persécutions staliniennes, y découvre la bonté absolue. Un trésor d’humanité au-delà des religions et des dogmes.

"Vie et Destin" de Vassili Grossman

Vassili Grossman est l’auteur d’un livre-monde nommé "Vie et Destin". Imaginez "Guerre et Paix" de Tolstoï transposé de la période napoléonienne au vingtième siècle et vous aurez une idée de "Vie et Destin", de ses dizaines de personnages emportés par l’Histoire, balayés par les purges, les pogroms, la bataille de Stalingrad, les camps de la mort…

Ce livre, Delphine Lanza et Dorian Rossel l’ont lu. Il ne les a plus quittés. Leur compagnie STT crée des spectacles à partir d’œuvres non théâtrales. Cela peut être une BD, un roman, un film, un essai… Comment jouer sur scène "Vie et Destin" sans se faire broyer? Ce livre va les habiter durant plusieurs années. Jusqu’à ce que le duo trouve la clé.

Au cœur du livre, bat le chapitre 15. Un texte à part, consacré au Bien et au Mal. Deux valeurs qui ne causent que ruine autour d’elles, qu’elles soient agitées au nom de la politique, de la religion ou de la morale. Pour l’auteur de ce texte glissé dans le roman, seule compte la bonté. Elle vient de l’émerveillement pour le vivant. Elle est portée par des gens simples. Au milieu de la destruction de l’humanité, elle seule peut encore sauver le monde.

Un spectacle sur la bonté

Revenons au théâtre. "Madone", est né de ce chapitre et des propos de Vassili Grossman sur la "Madone Sixtine". C’est un spectacle qui parle et montre la bonté. Sur scène, sept personnages la cherchent, l’incarnent, la perdent et la retrouvent. Bonté rime parfois avec beauté. Elle est aussi cousine de l’émerveillement. Sur le plateau du Forum Meyrin, les corps dansent et parlent. Le décor n’est pas en reste, empli de surprises et d’inattendu.

"Madone" n’est pas une histoire avec des personnages. Ce n’est pas la transcription – impossible au demeurant - du roman de Grossman. La Sainte-Vierge n’apparait pas sur le plateau et le fameux tableau de Raphaël reste à l’état d’évocation. A nous d’aller à Dresde ou sur internet pour le contempler. "Madone" est un spectacle qui emprunte les chemins sinueux de la poésie, du symbolisme, de l’abstraction et de la philosophie. Pas question de vous le résumer, sachez simplement qu’il peut se vivre comme un songe éveillé. Dont on ressort plein de réponses et de questions.

Thierry Sartoretti/aq

A Meyrin, Théâtre-Forum, du 23 au 29 septembre. A Bienne, Nebia, le 24 novembre. A Yverdon-les-Bains, Théâtre Benno Besson, les 3 et 4 décembre.

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