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Moi, Arielle F, vraie femme et corps numérique pour performance digitale

"Be Arielle F", le spectacle de Simon Senn. [vidy.ch - Elisa Larvego]
"Be Arielle F", théâtre virtuel et vertigineux / Vertigo / 6 min. / le 8 avril 2020
Invité par le Théâtre de Vidy, le plasticien genevois Simon Senn propose en direct sur internet un spectacle vertigineux sur la réalité virtuelle et ses limites morales intitulé "Be Arielle F". A voir jusqu'au 16 avril.

Il s'appelle Simon Senn. Il est Genevois et artiste plasticien. Il enseigne également les réalités virtuelles à la HEAD, la Haute école d'art et de design. Le voici désormais homme de théâtre. Ce printemps, Simon Senn aurait dû présenter sa première création scénique au Théâtre de Vidy. Il ne renonce pas. Le voici aujourd'hui chez vous, depuis chez lui, en direct.

"Be Arielle F", titre de son spectacle, se regarde sur internet et en petit comité. Ce n'est ni du streaming ni une captation, mais bel et bien du vrai live. Il faut réserver sa place sur le site du théâtre Vidy-Lausanne. Billet gratuit. A voir ce jeudi 9 avril, vers 20h15, puis les 14 et 16 avril. On peut se rendre au théâtre virtuellement, via l'application Zoom. Nous sommes accueillis par un placeur/modérateur qui nous fait patienter dans le foyer virtuel du théâtre.

Achat d'un corps féminin virtuel

Installés dans nos salons, visibles derrière leur écran d'ordinateur, spectateurs et spectatrices sont un peu intimidés. Quelques visages se reconnaissent dans cette petite foule. On se salue. Les retardataires arrivent, les chuchoteurs se taisent et le spectacle peut commencer. Avec un Simon Senn, installé dans son salon, lui aussi. Il arbore deux visages. L'un masculin, le sien. L'autre féminin, un peu artificiel…

"Be Arielle F", le spectacle de Simon Senn. [vidy.ch - Elisa Larvego]

Simon Senn raconte son projet. Pour une somme de 10 dollars, il a acheté un corps sur un site internet. Un corps virtuel, certes, mais néanmoins créé d'après une véritable personne en chair et en os. Le corps choisi par Simon Senn est féminin. C'était le seul qui correspondait à sa morphologie plutôt longiligne. Il compte l'utiliser pour une installation.

L'artiste se pose cependant immédiatement des questions éthiques. Et il y a de quoi.

Les identités numériques et corporelles

Simon Senn dispose de ce corps nu et identifiable. Qu'a-t-il le droit d'en faire? Jusqu'où peut-il aller? C'est assez vertigineux d'imaginer que ce corps offert sur catalogue peut se retrouver un peu partout sur internet: dans un jeu vidéo, un documentaire, un tutoriel, un film érotique ou, ce soir, au théâtre. Simon Senn enfile capteurs et lunettes 3D virtuelles, il se découvre en fille, se plait ainsi. Une question subsiste: qui est la femme dont il a emprunté le corps? Simon Senn enquête. Le voici à Londres. Et nous découvrons, nous aussi, en direct avec nous, confinée dans son appartement anglais, la vraie Arielle (nom d'emprunt).

Elle existe donc bel et bien. Etudiante, elle a été payée 70 livres sterling par une agence de mannequinat pour être scannée partout… ou presque: l'agence a oublié de photographier sa plante des pieds, informatiquement parfaitement plats. Elle est désormais payée comme performeuse dans le spectacle de Simon Senn, dialoguant avec lui sur ce sentiment étrange de vivre plusieurs identités parallèles, maîtrisées ou incontrôlables. Le spectacle "Be Arielle F" touche à sa fin. Et comme dans un vrai théâtre, on se retrouve en "bord de scène" pour poser des questions et se dire au revoir.

Cette version "chat" du spectacle "Be Arielle F" offre un effet poupée russe assez vertigineux: nous assistons virtuellement à un spectacle traitant de manière réaliste la question du virtuel et de nos identités corporelles et numériques. Une réussite à rééditer instamment!

Thierry Sartoretti/ld

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