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Tournez manège, voici de la danse au grand galop dans "Carrousel"

Le spectacle "Carrousel" de Vincent Thomasset. [vincent-thomasset.com]
Danse: "Carrousel" aux Printemps de Sévelin / Vertigo / 5 min. / le 10 mars 2020
Spectacle d'ouverture du Festival lausannois des Printemps de Sévelin, "Carrousel", de Vincent Thomasset, mélange danse, théâtre, combat et art équestre. Comme au temps du Roi Soleil. A découvrir ce mercredi 11 mars.

"Louis par la grace de Dieu roy de France et de Navarre, A tous presens & à venir, Salut". Non, il n'y a pas de faute d'orthographe dans ce qui précède. C'est simplement le français officiel en vigueur le 30 mars 1662. Et ce salut plutôt cool nous vient de Louis XIV. Il vient de fonder l'Académie royale de danse en sa bonne ville de Paris. Il est content Louis et il ajoute: "Bien que l'Art de la Danse ait toûjours esté reconnu l'un des plus honnestes & plus necessaires à former le corps, & luy donner les premieres & plus naturelles dispositions à toute sorte d'exercices, & entre autres à ceux des armes…" En résumé: danser, c'est savoir se battre. C'est aussi se tenir correctement sur un cheval (de bataille).

A la même époque, en 1666, Antoine de Pluvinel édite son "Instruction du Roy en l'exercice de monter à cheval". Quatre ans plus tard, en 1670, rieur et moqueur, Molière présente son "Bourgeois gentilhomme" où il est question d'éducation et d'aspiration aux arts.

Un spectacle unique

C'est loin tout ça, direz-vous. N'empêche: le manuel de Pluvinel est un guide pour Bartabas, le plus célèbre des cavaliers d'aujourd'hui. Il le cite dans ses mémoires équestres, "D'un Cheval l'autre", paru chez l'éditeur Gallimard cette année. Et ces textes datés au Roi Soleil illuminent la dernière création du metteur en scène français Vincent Thomasset sur la scène de Sévelin 36 ce mercredi soir encore. De la danse, de l'escrime, du cheval, du verbe, de la verve et passablement d'humour, c'est "Carrousel". Un spectacle unique.

Tagada, voici les comédiennes et les danseurs! Une deux, une deux, une deux, ils et elles défilent au petit trot sur le plateau, sont tantôt cavalier, tantôt cheval. Onze lettres de l'alphabet sont disposées sur la scène. Voilà qui est bien mystérieux, sauf pour celles et ceux qui pratiquent l'équitation en manège.

Le spectacle "Carrousel" de Vincent Thomasset. [vincent-thomasset.com - Patrick Berger]
Le spectacle "Carrousel" de Vincent Thomasset. [vincent-thomasset.com - Patrick Berger]

La scène de "Carrousel" reproduit en effet les codes et les positions du dressage équestre. Une comédienne porte la bombe. Un danseur manie le fouet. Il ne manque plus que le sable et la paille. Ainsi, jouer et danser relèverait de l'éducation, du dressage. Et ce pauvre bourgeois, Monsieur Jourdain, celui qui dit de la prose sans le savoir, se fait devant nous rouler (dans la sciure) par ses maîtres d'armes, maîtres de danse et autres philosophes de salon dans un extrait du "Le Bourgeois gentilhomme", spectacle où l'on jouait et dansait.

Retour aux sources

Vincent Thomasset revient aux sources des arts du spectacle. Il rappelle les liens naturels entre le verbe et le mouvement, le corps humain et le corps animal. Dans "Carrousel", on danse, on apprend à se battre et à monter à cheval. Le tout dans une mise en scène inspirée des exercices pratiqués au XVIIe siècle pour le bon plaisir de Sa Majesté le Roi.

On rit, beaucoup, devant ce "Carrousel" où excellent des artistes au parcours surprenant: Jacquelyn Elder a dansé dans la compagnie américaine de Martha Graham, Emmanuelle Lafon fait partie de cette formidable épopée théâtrale "L'Encyclopédie de la parole", Anne Steffens fut magnétique dans "La Maman et la Putain" revisitée sur scène par le metteur en scène Dorian Rossel, Nicolas Perrochet possède l'impressionnante présence physique d'un ex-officier des paracommandos et Julien Gallée-Ferré a les jambes interminables d'un pur-sang méditerranéen ayant cavalé chez la chorégraphe Mathilde Monnier.

Ce spectacle à nul autre pareil traite du langage, de l'apprentissage et des rapports de pouvoir. Avec le sourire et le mors aux dents. Une excellente manière d'entamer le Festival des Printemps de Sévelin où l'on expose par ailleurs un manuel illustré de salutations chorégraphiées à l'usage des bipèdes en période d'épidémie.

Thierry Sartoretti/ld

Dédié à la danse contemporaine, mêlant créations confirmées et émergentes, artistes suisses et internationaux, le Festival des Printemps de Sévelin a dû être annulé pour cause de coronavirus.

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