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La musique classique, une histoire d'amour avec la danse contemporaine

La chorégraphe belge Anne Teresa De Keersmaeker fait danser les six concertos brandebourgeois. [©Anne Van Aerschot]
Danse contemporaine et musique classique, le grand amour / Vertigo / 5 min. / le 18 février 2020
A Genève du 20 au 23 février, la chorégraphe belge Anne Teresa De Keersmaeker fait danser les Concertos Brandebourgeois. Et des jeunes danseuses revisitent Mozart et Beethoven. Quid de cette idylle?

Le contraste est saisissant. Trois siècles de différence entre les archets baroques de Jean-Sébastien Bach et les corps en mouvement de la compagnie belge Rosas. La chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker s'empare des six Concertos brandebourgeois, millésime 1721, et le BFM de Genève affiche complet trois jours durant. C'est l'événement de saison dans le domaine de la danse.

Les corps de ballet des maisons d'opéra ont l'habitude de se frotter au répertoire dit classique. C'est même leur vocation première. Dans un style plus moderne, feu Maurice Béjart a lui aussi proclamé son amour des grands compositeurs, drainant les foules en donnant à voir "La Flûte enchantée" de Mozart ou la IX symphonie de Beethoven. Voici que la danse contemporaine se pique à son tour de classicisme absolu, elle que l'on associe plus généralement à des musiques contemporaines. Comprenez tout et n'importe quoi, de la musique minimale répétitive au hip-hop en passant par la techno, le rock ou les musiques du Monde, pourvu que cela ne soit pas la musique à perruque des anciens.

Dialogue dans un élan contemporain

"J'en ai tellement écouté avec mon père mélomane et lors de mon apprentissage de la danse classique que j'ai eu une forme de rejet", avoue la danseuse romande Ruth Childs, nièce de Lucinda Childs, une des figures marquantes de la danse contemporaine américaine. "Aujourd'hui, alors que j'explore la mémoire du corps, je me rends compte à quel point cette musique m'a marquée et m'habite encore." Dans les années 1970, sa tante Lucinda collaborait avec les compositeurs new-yorkais du moment, en particulier Philip Glass. Dans un même élan contemporain, Anne Teresa De Keersmaeker, alors jeune danseuse dans le New York des années 1980, convoquait la musique répétitive de Steve Reich.

Aujourd'hui, dans son dernier solo, la jeune Ruth Childs dialogue avec… Beethoven et Dvorak pour sa création "Fantasia". Une autre chorégraphe romande, Maud Blandel, consacre sa dernière création au Divertimento K136 de Mozart. En Suisse romande, feu la chorégraphe contemporaine Noemi Lapzeson tutoyait régulièrement Bach dans ses créations. Quant à Anne Teresa De Keersmaeker, ce n'est pas la première fois qu'elle danse à sa façon les baroqueux: il y a eu le spectacle "Partita 2" en complicité avec le danseur Boris Charmatz et la violoniste Amandine Beyer (que l'on retrouve au pupitre de l'ensemble baroque des concertos brandebourgeois), "Tocata" et les suites pour violoncelle de ce même Bach, sans oublier Mozart et Monteverdi…

Un rapprochement esthétique et spirituel

Une musique est un choix dramaturgique. "La question à se poser, ce n'est pas pourquoi, mais comment, dès lors que l'on opte pour une forme musicale dite classique", explique la chorégraphe Maud Blandel. Son choix: réarranger Mozart pour un quatuor singulier avec l'Ensemble contemporain Contrechamps: piano, tuba, guitare électrique et… la danseuse Maya Masse, un corps devenu instrument qui danse 60 minutes durant les yeux parfaitement clos.

La danseuse Maya Masse dans "Diverti Menti" de Maud Blandel. [adc - Gregory Batardon]
La danseuse Maya Masse dans "Diverti Menti" de Maud Blandel. [adc - Gregory Batardon]

Pour sa part, Ruth Childs joue la musique de Beethoven dans un singulier remix où musique et gestes s'entremêlent avec humour et complicité: Ludwig Van jaillit littéralement du corps de Ruth.

En dialogue intime avec la musique de Bach depuis ses débuts de danseuse, Anne Teresa De Keersmaeker trouve chez le Cantor de Leipzig une rigueur et une ordonnance rythmique qui résonnent fortement avec son goût pour les formes mathématiques et une recherche de liberté artistique au sein d'un système très cadré. Les œuvres musicales sont ici réinterprétées à la note, en live sur scène: "Ce qui m'intéresse, c'est que d'une part la danse permette de visualiser la structure de la partition, ses fondations en quelque sorte. Et en même temps que l'on puisse jouer sur tous les niveaux les plus directs de la musique. Pouvoir suivre par moment l'aspect immédiat que la musique produit dans nos corps: les envolées, les vertiges, le plaisir physique, la réponse immédiate au son."

C'est ainsi que trois siècles de différence ne signifient pas un écart artistique, mais plutôt un rapprochement esthétique et spirituel.

Thierry Sartoretti/ld

"The Six Brandenburg Concertos", chorégraphie d’Anne Teresa de Keersmaeker, direction musicale Amandine Beyer. Genève, BFM, du 20 au 23 février.

"Diverti Menti", chorégraphie de Maud Blandel avec Maya Masse. Genève, ADC, du 18 au 22 mars.

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