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"L'Homme de plein vent", du théâtre pour tutoyer les nuages

Une scène du spectacle "L'homme de plein vent". [tkm.ch - Marguerite Bordat]
LʹHomme en plein vent / Vertigo / 3 min. / le 11 février 2020
Les formidables Pierre Meunier et Hervé Pierre recréent au TKM de Renens une envolée entre théâtre et cirque, jouée 23 ans plus tôt dans ce même lieu. Toujours aussi merveilleux et bien perché.

Contre les poids, il s'agit de prendre des mesures! Visons l'ultra léger, la plume aérienne, le nuage vaporeux, luttons contre la pesanteur de ce Monde qui nous cloue au sol et nous rabaisse sans cesse vers le bas. Leopold von Fligenstein (Monsieur de La Pierre volante en version française) est un idéaliste, un utopiste, un combattant. Son rêve d'envol est pure fiction, illusion. Il s'y accroche pourtant tel un Don Quichotte ayant troqué sa vieille rosse contre un trapèze et une guinde. Pour tirer sur ce mécanisme d'envol, il faut bien un serviteur, un fort à bras, un Sancho Panza de la machinerie. L'homme de main de Leopold s'appelle Kutsch. Il en connait également un rayon en matière de boulets, de fonte et d'empêcheur de voler en cercle: dans une précédente vie, Kutsch était contrôleur des poids et mesures. L'exact opposé de son maître. Une balance, en somme.

Un spectacle comme une rêverie

Kutsch & Fligenstein devisent à quelques mètres de hauteur sur la scène du TKM. On dirait deux corbeaux perchés sur un poteau télégraphique raillant tout ce qui peut ramper et traîner sous leurs pattes. De part et d’autre, on découvre des tuyaux, des poulies, du câblage, des engrenages, de la ferraille de toute sorte et une grande toile peinte, sorte de voile qui peut jouer aussi bien le rôle de la Terre, du Ciel, des nuages et du vent. Le tout est manoeuvré à vue par un technicien de plateau. Le tout vrombit, grince, s'anime, devient vivant, sauvage.

"L'Homme de plein vent" n'est ni du cirque ni du théâtre à l'ancienne, c'est une rêverie à la Méliès, ce génial pionnier du cinématographe qui pouvait nous envoyer sur la Lune avec trois bouts de ficelles et 500 grammes de carton-pâte. A regarder cette pièce, à écouter ces deux personnages, nos esprits gagnent les sommets.

Une scène du spectacle "L'homme de plein vent". [tkm.ch - Marguerite Bordat]
Une scène du spectacle "L'homme de plein vent". [tkm.ch - Marguerite Bordat]

Un nouvel envol

D'où sort-il ce Leopold? Il y a trente ans, les spectateurs romands l'on vu s'envoler en compagnie du peuple ailé de la Volière Dromesko, spectacle marquant de ce que l'on a nommé naguère le Nouveau Cirque. Un homme en bretelles et bras de chemise qui bat des ailes en compagnie de deux-cents volatiles. Depuis, Leopold, alias Pierre Meunier, se confronte aux lois de la physique avec des spectacles dont les titres sont autant de défis lancés contre le mauvais esprit terre à terre et cartésien. Il y a eu "L'Homme de plein vent" soufflé une première fois en 1996. Puis "Le Chant du ressort", "Le Tas" ou encore "La Vase".

Aujourd'hui, Pierre Meunier et sa compagnie La Belle Meunière dialoguent avec l'artiste plasticienne Marguerite Bordat dont les créations métalliques fleurent bon les explorations sur des sites industriels abandonnés. Kutsch à la bonne figure et l'appétit joueur d'Hervé Pierre, légendaire comédien français. Peut-on toujours s'envoyer en l'air, passé 60 ans? Ce nouvel envol de "L'Homme de plein vent", cet individu dressé tel un arbre solitaire au milieu d'une désespérante platitude, est la plus belle des réponses. En haut, c'est toujours plus beau.

Thierry Sartoretti/ld

"L'Homme de plein vent", Renens, TKM, jusqu'au 14 février.

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