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La chorégraphe Nicole Seiler fait jaillir le yodel de la danse contemporaine

"The rest is silence" de la Compagnie Nicole Seiler. [arsenic.ch - Julie Masson]
Danse: The Rest is Silence / Vertigo / 4 min. / le 17 janvier 2020
A l’Arsenic de Lausanne jusqu'à dimanche, "The Rest is Silence" de Nicole Seiler marie danse et chant des bergers alpins. Une création saisissante, qui part du corps et trouve sa voix.

Chacune a l’épiderme couvert de peinture. De guerre ou de paix, on ne le sait pas. Elle est en tout cas bigarrée. Ce groupe fait cercle autour d’une vasque d’où s’élève une flamme qui peine à chasser l’obscurité du plateau. Un murmure jaillit des bouches. Il devient grondement, se transforme en polyphonie, large et sonore. Comme un ruisseau devenu torrent et finalement rivière.

Le groupe se disloque, court à travers la salle, se poursuit, s’apostrophe et porte ses voix aux quatre coins de la scène. A la fin du spectacle, les sept se retrouvent. Leurs corps forment des sculptures mouvantes, des mobiles de jambes et de bras, une hydre à sept têtes parlantes. Ce n’est plus un simple son, exempt de consonnes, qui sort de ces bouches. C’est un chant. Une mélopée à fendre les pierres. Du yodel.

Singulier spectacle, étrange voyage, que ce "The Rest is Silence". Titre mystérieux pour une création dont le silence est précisément absent. C’est de la danse contemporaine, chorégraphiée par Nicole Seiler. C’est aussi, et peut-être surtout, un concert vocal qui relierait musique contemporaine et folklore archaïque. En Suisse alémanique, il existe un mot (et même un film, splendide, signé Cyrill Schläpfer) pour décrire ce chant: Ur Musig – la musique primitive.

>> Nicole Seiler raconte son projet au micro de "Magnétique" :

"The rest is silence", création de la chorégraphe suisse Nicole Seiler à voir du 14 au 19 janvier 2020 au Théâtre de l’Arsenic, à Lausanne. [arsenic.ch]arsenic.ch
Le chant des origines dans "The rest is silence" / Magnétique / 13 min. / le 9 janvier 2020

Un hommage au patrimoine vocal alpin

"Je m’interroge depuis un moment déjà: pourquoi les danseurs sont-ils toujours muets et à l’inverse les chanteurs si statiques? J’avais par ailleurs envie de revenir à ce qui me touche depuis l’enfance", explique Nicole Seiler. Cette madeleine de Proust, c’est le chant choral d’une enfance passée dans la campagne lucernoise. "The Rest is Silence" n’est pas un spectacle folklorique, mais bien, notamment, un hommage vivant au patrimoine vocal alpin et au premier des instruments de musique.

J’aime le yodel et trop souvent il n’est pas chanté dans un cadre qui lui convient. Tout est toujours figé dans le folklore, les concours, les manifestations … J’avais envie de le faire jaillir ailleurs.

Nicole Seiler, chorégraphe

Entre les quatre murs de l’Arsenic, ce chant saisit par son évidence et son épure. On est stupéfait d’apprendre que les deux chanteurs les plus saisissants – Aure Wachter et Gilles Viandier – sont originaires de France. Pas besoin d’être Uranais ou Schwytzoise pour saisir l’essence et la profondeur de ce chant de rochers et de falaises.

Depuis 2002, Nicole Seiler compte une grosse vingtaine de créations chorégraphiques à son actif. Des créations qui tournent à travers le monde. Au fil de son travail, ce n’est pas un mouvement physique ou une esthétique du corps dansant qui se dessineraient. Plutôt une quête permanente de territoires artistiques inédits et de formes de représentations hors normes.

Certains spectacles ont été très technologiques (proche du cinéma fantastique), d’autres projets vivent par la seule grâce du public (et de son imaginaire) ou se passent de danseurs pour convoquer des fantômes, une création ("Isshhh") dansait à l’autre bout du monde. "The Rest is Silence" part du corps et trouve sa voix. Dans le mouvement, le chant et la communauté. Saisissant.

Thierry Sartoretti/mh

"The Rest is Silence", Arsenic, Lausanne, jusqu'au 19 janvier 2020.

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