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Des humanoïdes plus vrais que nature débarquent sur les scènes de théâtre

La chronique culturelle (vidéo) - La vallée de l’étrange
La chronique culturelle (vidéo) - La vallée de l’étrange / La Matinale / 2 min. / le 4 octobre 2019
A Lausanne, deux créations provoquent un étrange malaise en conviant des robots sur scène. "La vallée de l'étrange", au Théâtre de Vidy, et "Les Contes d'Hoffmann", à l'Opéra, invitent à explorer les liens entre le réel et l’imaginaire.

"La vallée de l’étrange" est une expression inventée dans les années 1970 par un roboticien japonais, Masahiro Mori, pour désigner la sensation de malaise qui nous saisit lorsqu’on se trouve face à un objet qui a atteint un haut degré de ressemblance avec un être humain. Une marionnette ou plus encore une prothèse ou un robot humanoïde peuvent nous faire cet effet. Cette "vallée de l’étrange" s’expérimente actuellement au théâtre de Vidy, à Lausanne.

Assis seul sur scène, l’auteur allemand Thomas Melle y raconte sa vie, parallèlement à celle géniale et tragique d’Alan Turing, pionnier de l’informatique. Mais quelque chose trouble dans le regard du romancier, dans ses gestes. Nous voilà dans la "vallée de l’étrange": car ce n’est pas lui sur scène mais son double humanoïde, que Thomas Melle a fait fabriquer afin de le remplacer quand, maniaco-dépressif, il ne se sent pas en état de monter sur scène et de parler en public.

Réplique de l’écrivain allemand Thomas Melle, ce robot raconte la vie de son modèle dans "La Vallée de l'étrange". [vidy.ch - Gabriela Neeb]
Réplique de l’écrivain allemand Thomas Melle, ce robot raconte la vie de son modèle dans "La Vallée de l'étrange". [vidy.ch - Gabriela Neeb]

Le robot, notre esclave, vraiment?

Et c’est dans l’ordre des choses, si l’on se souvient que robot est un mot inventé par un auteur tchèque de science-fiction qui signifie dans cette langue "corvée", "servitude". Le robot a toujours été pensé comme notre esclave. Pourtant cette place, aussi peu glorieuse soit-elle, sommes-nous prêts à la lui accorder? L’automate de Melle nous interpelle, exige l’observation. Pas seulement son visage de silicone d’un réalisme inouï, mais aussi notre regard à nous qui nous taisons face à lui, qui parle. Qui d'entre nous est en mode automate?

Et l'on n’a pas attendu l’essor de l’intelligence artificielle pour douter de ce qui distingue l’humain de l’objet animé. Un autre spectacle à découvrir, celui-ci à l’Opéra de Lausanne, nous le rappelle: "Les Contes d’Hoffmann", que Jacques Offenbach a écrit jusqu’à sa mort, en 1880. Au premier acte de ces contes fantastiques, le poète-musicien Hoffmann s’éprend d’une automate, Olympia.

Où se trouve la véritable Olympia? La mise en scène des "Contes d'Hoffmann" de Stefano Poda sème le doute. [Opéra de Lausanne - Alan Humerose]
Où se trouve la véritable Olympia? La mise en scène des "Contes d'Hoffmann" de Stefano Poda sème le doute. [Opéra de Lausanne - Alan Humerose]

Dans la mise en scène sublime et crépusculaire de Stefano Poda, plusieurs Olympia avancent sur scène, dans des cages de verre. Où est la vraie chanteuse? Où sont les automates? On cherche, on veut savoir, puis une voix extraordinaire émane de l’une d’elles: humaine, évidemment. Ou pas? Encore ce malaise, cette "vallée de l’étrange" qui, de toute évidence, cache une montagne de questions et offre ici deux belles créations.

Anne-Laure Gannac/mh

"La Vallée de l’étrange", Stefan Kaegi, Thomas Melle, Théâtre de Vidy-Lausanne, jusqu'au 10 octobre

"Les Contes d’Hoffmann", Opéra de Lausanne, jusqu'au 9 octobre

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