Imaginez. C’est une île déserte. Ses premiers habitants ont fui la civilisation, sabordé leurs bateaux et tout abandonné derrière eux. Il y a de l’utopie dans ce projet. Comme une réminiscence hippie. On se nourrit de plantes, on se mélange parmi et surtout on oublie tout: plus d’écriture, pas le moindre stylo, pas le moindre livre, aucun papier. C’est la grande fraternité ou sororité de la parlotte. Les années passent, les générations se suivent… comment ces insulaires vont-ils évoluer sans écriture?
Interdiction d'écrire
Imaginez encore. C’est un spectacle de théâtre. Une création originale nommée "Sans Effort". Sans effort? Tu parles. Joël Maillard et sa complice Marie Ripoll se sont donnés de belles règles de travail. On les cite: "Interdiction d’écrire quoi que ce soit, y compris des notes de travail. Interdiction d’archiver leurs recherches sur quelque support que ce soit. Interdiction d’utiliser de la matière première enregistrée. Interdiction de lire et de se documenter par quelque moyen que ce soit, à l’exception de conversations qu’ils pourraient avoir avec des gens."
Sont-ils zinzins, Joël Maillard et Marie Ripoll? La réponse est oui. La méthode rappelle le mouvement littéraire Oulipo qui trouvait sa liberté dans la contrainte. Et en matière de liberté, "Sans Effort" est un manifeste réjouissant, drôle et délicieusement ironique. On a pu le découvrir au Festival FAR cet été. Désormais, il tourne.
La musique pour accompagner la transe
Les voici donc tous les deux sur un plateau à nous raconter cette aventure humaine post-écriture. Une saga entre Robinson Crusoé et la vie baba dans le Larzac dans les années 70. Tout ceci par le truchement de l’époux d’une sorte de medium décédée qui lui aurait transmis la vision future de cette société dédiée à la seule parole. On vous avait dit que c’est zinzin. Notez aussi que les habitants de l’île, à défaut de lire les notes, ne sont pas insensibles à la musique. Sauf qu’en l’absence de références au passé, leurs instruments sont pour le moins sommaires, destinés avant tout à accompagner leur transe après avoir consommé une certaine racine qui pousse sur l’île. On doit au musicien Louis Jucker l’invention de l'instrumentarium primitivo-futuriste.
Suspense, l’écriture va-t-elle jaillir à nouveau comme aux premiers temps? L’absence d’écriture sera-t-elle une libération ou un abrutissement? Et qui est véritablement Joël Maillard? Ne comptez pas sur moi pour vous l’écrire…
Thierry Sartoretti/mh
"Sans Effort", Petithéâtre de Sion, du 20 au 22 septembre, puis à l’Arsenic de Lausanne, du 1er au 6 octobre 2019.
Il est grand, le Petithéâtre de Sion
La salle est aussi minuscule que charmante. Cinquante places dans un caveau qui fleure le baroque, adossé à la colline de Valère au cœur du Vieux Sion. L’accueil est chaleureux, les discussions tardives. C’est qu’ici, il est question de découvertes, de créations et de proximités avec les artistes. Chaque saison, le Petithéâtre accueille quatre productions valaisannes et s’offre des accueils helvétiques aussi surprenants que réjouissants. Le fil rouge: l’écriture contemporaine. Hermétique et incompréhensible? Tout le contraire: malicieux et en prise directe avec notre époque grâce aux choix de l’équipe du théâtre menée par Michaël Abbet.
Le public sédunois, moyenne d’âge plutôt jeune, l’a bien compris qui se presse en ces lieux pour découvrir les créations de Romain Daroles (dernière révélation du Festival d’Avignon), Melina Martin, Mali Van Valenberg ou encore Pierre Mifsud et ses complices. Signe des temps, le Petithéâtre n’affiche plus. C’est par internet ou les réseaux sociaux que se transmet désormais cette bonne adresse: https://petitheatre.ch