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Des jeunes comédiens et des réfugiés restituent la cruauté de la migration

Image du spectacle "Avanti, Avanti, Migranti! Storie di fughe e di arrivi" par  l'Académie Teatro Dimitri. [Académie Teatro Dimitri - Konstantin Demeter]
Image du spectacle "Avanti, Avanti, Migranti! Storie di fughe e di arrivi" par l'Académie Teatro Dimitri. - [Académie Teatro Dimitri - Konstantin Demeter]
Pour leur travail de Bachelor, les élèves de l'Académie Teatro Dimitri ont créé "Avanti, Avanti, Migranti! Storie di fughe e di arrivi", un spectacle conçu et réalisé avec la participation de migrants, qui a valeur de témoignage et d'avertissement.

Boire de l’essence tant on a soif? Pour son spectacle final, la classe de Bachelor du Teatro Dimitri porte à la scène cette expérience traumatique, parmi tant d'autres vécues par des migrants.

Une barrière de cruauté

Une barrière, sans cesse repoussée, voilà le seul élément de scénographie utilisé dans "Avanti, Avanti, Migranti! Storie di fughe e di arrivi" présenté ces jours dans la cour intérieure d’un ancien cloître de Locarno.

Une barrière pour symboliser la clôture de la frontière. D'un côté se trouvent les futurs diplômés de l’Académie de Théatre Dimitri et des réfugiés d'Afghanistan, de Syrie ou d'Irak,  qui vont ensemble raconter les récits de leurs exils. De l'autre côté, le public. Et lorsque la barrière bouge, les spectateurs sont aussi obligés de se déplacer.

Obligés de s'accroupir pour passer la frontière

Un des moments-clé de tous les récits de fuites vers l’exil est celui du passage de la frontière. En Bulgarie par exemple, les migrants ont été forcés à marcher accroupi, les mains sur la tête.

Qui est dedans ? Qui est dehors ? Dans la pièce, une barrière mobile symbolise la frontière. [Académie Teatro Dimitri - Anna Bausch]
Qui est dedans ? Qui est dehors ? Dans la pièce, une barrière mobile symbolise la frontière. [Académie Teatro Dimitri - Anna Bausch]

Sur la scène, tout le monde marche accroupi. Sauf un élève-comédien qui mime le garde-frontière. Lorsqu'il empoigne brutalement un migrant pour qu'il se mette debout, la chorégraphie bascule et l'homme violenté cite un poème syrien.

"Les âmes de nos enfants ont subi des dégâts" lance-t-il, "leurs rêves se sclérosent. Ils crient et se débattent comme sous la torture."

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Ensemble on est plus fort

La plupart du temps, les élèves-comédiens de Dimitri, tout comme les amateurs, font usage uniquement de leurs corps pour raconter ces différentes histoires de migration. Le metteur en scène Volker Hesse, fait exécuter aux jeunes gens une danse muette. Puis il les fait courir, jusqu’à ce que l'épuisement les fasse chanceler. Alors, lorsqu'ils tentent de progresser au ralenti, en dépit de leur fatigue intense, ils prennent appui les uns sur les autres. 

Car c'est par le langage corporel que les différents interprètes ont appris à se comprendre. C’est grâce à lui qu'ils ont pu surmonter les obstacles linguistiques que Volker Hesse et son équipe ont dû affronter pour réaliser ce spectacle en commun. 

Retrouver la confiance

Faire ce travail corporel  ensemble a permis de retrouver de la confiance, explique Volker Hesse. "J'’étais conscient du danger de réveiller le traumatisme des réfugiés participants au projet. Mais le groupe a généré une très grande confiance, et la capacité mutuelle à s’ouvrir".

Unis par une confiance réciproque: sur scène, acteurs et migrants se soutiennent mutuellement. [Académie Teatro Dimitri - Konstantin Demeter]
Unis par une confiance réciproque: sur scène, acteurs et migrants se soutiennent mutuellement. [Académie Teatro Dimitri - Konstantin Demeter]

C’est de cette façon que chaque réfugié ou migrant a réussi à incorporer son récit dans la pièce. Même lorsqu’il s’agissait d’expériences aussi extrêmes que celle d’avoir été réduit par la soif à boire de l’essence dans le désert.

Avertir des dangers du populisme

En dépit du désespoir qui se lit sur le visages des acteurs, la pièce est aussi traversée par un moment de gaîté, lorsque les migrants et les acteurs  - qui incarnent plutôt la population locale - se retrouvent tous ensemble attablés autour de mets afghans, et que les spectateurs, eux aussi conviés, les rejoignent. Il se dégage alors une sensation d'accueil, de paix. Jusqu’à ce que l’atmosphère bascule à nouveau.

Car Volker Hesse termine sa pièce par une mise en garde. Il veut avertir les spectateurs de la menace que font peser des populistes de droite comme Salvini & Co sur ce vivre ensemble pacifique.

Une bannière où est inscrite cette citation lapidaire de Salvini "Laissez notre culture tranquille" contribue au malaise.

Vraiment proches

Volker Hesse en est persuadé: "sans proximité, il ne peut y avoir de compréhension". Avec "Avanti, Avanti, Migranti!" le spectateur peut éprouver de façon concrète et sensible la souffrance des réfugiés.

Une expérience tangible, qu’une émission de télévision ou de radio ne permet pas. C’est la grande qualité de ce projet. Devenir vraiment proche de ceux qui sont en fuite. Avec juste une barrière pour les séparer. 

thük/gabm (SRF Kultur)/mp

"Avanti, Avanti, Migranti! Storie di fughe e di arrivi" :  les 29 et 30 juin, Piazza St. Francesco 19, Locarno; les 2 et 3 juillet à Zürich ; le 10 Juillet à Udine;  les 12 et 13 juillet, au Festival Venice Open Stage, Venise.

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