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"DAU", expérience immersive géante au coeur de l'Union soviétique

Le projet DAU propose une plongée immersive dans la Russie des années 30 à 60. [EPA/Keystone - Christophe Petit Tesson]
DAU, l’expérience soviétique au cœur de Paris / Tout un monde / 8 min. / le 12 février 2019
Projet artistique hors normes, "DAU" propose une plongée dans la Russie totalitaire des années 30 à 60. Une expérience atypique démesurée et désorganisée, complètement hors du temps, à voir Théâtre du Châtelet, au Théâtre de la ville et au Centre Pompidou, à Paris.
Une des projections de "DAU" au Théâtre de la ville, à Paris. [AFP - Philippe Lopez]
Une des projections de "DAU" au Théâtre de la ville, à Paris. [AFP - Philippe Lopez]

Au cœur du projet "DAU", il y a quatorze très longs-métrages du réalisateur Ilya Khrzhanovsky qui tournent 24h sur 24h au Théâtre du Châtelet et au Théâtre de la ville, à Paris. Le Centre Pompidou est aussi associé à l'évènement.

Pendant deux ans, le jeune Russe a filmé des scientifiques et des citoyens enfermés dans un institut ukrainien avec les décors et les codes de ce qu'était alors l'Union soviétique. Les films sont censés restituer leurs histoires. En tous les cas, c’est ce que l'on nous explique. Au visionnage, on a plutôt l’impression que les protagonistes sont des acteurs mais finalement les films nous mettent déjà dans une certaine ambiance.

Visa obligatoire

En réalité, tout est anormal dans ce projet. Vous n’achetez pas un billet, vous demandez un visa que vous obtiendrez après avoir répondu à des questions troublantes, intimes et assez tordues. Sur une échelle de "pas du tout d’accord" à "absolument d’accord", vous devrez répondre à des demandes du type "j’ai manipulé des gens avec qui j’étais en lien dans le but d’arriver à mes fins" ou "chacun devrait avoir le droit à la poursuite du bonheur même si cette quête est destructrice"...

On vous dit que ces données resteront confidentielles mais allez savoir... nous entrons en URSS. D’abord on vous demande de laisser votre téléphone portable dans un casier. Puis une sorte de smartphone audioguide vous donne des rendez-vous.

Vous allez voir des films et des reconstitutions d’appartements communautaires. Vous pouvez rencontrer un philosophe ou un rabbin qui va filmer votre entretien, que vous pouvez ou non mettre à disposition de la communauté. Vous pouvez boire de la vodka et manger des sardines en boîte dans des gamelles en fer blanc, le tout sous l’œil de mannequins ultra réalistes et dans les décors délabrés de ces deux théâtres qui sont en rénovation. Dans votre périple, vous allez croiser quantité de gens habillés en salopettes grises, qui ne servent pas à grand chose et n’ont pas beaucoup d’infos, esprit communiste oblige.

Le sexe très présent

Spécialiste de la Russie, Michel Eltchaninoff, auteur entre autres de "Dans la tête de Vladimir Poutine" aux éditions Selin/Actes Sud, a visité "DAU". "Les films ressemblent à une très longue émission de ciné-réalité", raconte-t-il. "Mais j'ai vu une scène lors de laquelle des gens prennent le thé et se racontent des choses terribles. J'ai remarqué qu'il y a très rapidement une montée aux extrêmes, on parle beaucoup de torture, on voit des dîners très arrosés et il y a beaucoup d'allusions au sexe. Je pense qu'ils ont gardé des morceaux de film qui témoignent de la réalité soviétique, comme les relations sociales entre les membres du parti et le peuple, la question du travail, l'alcool, la violence. Mais on ne voit que des extraits de film sur un projet qui est très long donc on ne comprend pas, et cette ignorance et cette incompréhension font partie de l'expérience et de la visite."

Une des installations de "DAU" au Théâtre du Châtelet, à Paris. [AFP - Philippe Lopez]
Une des installations de "DAU" au Théâtre du Châtelet, à Paris. [AFP - Philippe Lopez]

Désorganisation complète

"DAU" nage en pleine mégalomanie russe. Il faut dire que le tout a été subventionné par un milliardaire russe avec deux maîtres-mots: démesure et (surtout) désorganisation. Les organisateurs s’en sortent en expliquant que cette désorganisation fait partie du projet. Dans "DAU", vous pouvez en effet entendre un concert et apprendre a posteriori qu’il était donné par un célèbre musicien russe ou au contraire ne jamais mettre la main sur les fameux chamans qu’on vous promet…

"'DAU' c'est finalement une vraie expérience d'exploration d'un nouvel espace-temps", explique encore Michel Eltchaninoff. "Et finalement c'est cela qui m'a plu. Cette expérience du fait d'être perdu et égaré, qui ne m'a rien appris de l'Union soviétique par ailleurs, n'est au fond pas désagréable".

Ariane Hasler/mh

"DAU", Théâtre du Châtelet et Théâtre de la ville, Paris, jusqu'au 17 février

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