L’orchestre rugit, termine en apothéose son ascension fulminante. Un bref silence. Puis éclatent les applaudissements. Le rituel est tellement ancré que nul ne songe à l'interroger. Pourquoi applaudissons-nous? La musicologue Jutta Toelle, chercheuse auprès de l'Institut Max-Plank pour l’Esthétique empirique de Francfort, se passionne depuis des années pour ce phénomène. Elle propose quelques éléments de réponse.
Marquer le plaisir, mais aussi le soulagement
La chercheuse le confirme, ce geste exprime avant tout de la reconnaissance, un remerciement. Mais il semblerait aussi – et c’est plus étonnant – que l’applaudissement manifeste une part de soulagement. "Rester assis durant une heure trente voire davantage sans faire un bruit ni un geste est une situation assez peu naturelle". L'applaudissement serait donc autant une marque de satisfaction qu'un exutoire après une situation de contrainte.
Nous applaudissons aussi par besoin de nous accorder un répit, une libération, avant et après un long temps de concentration.
Un geste jamais appris
Nous n’avons en fait jamais vraiment appris à applaudir. Imitation ou réflexe? Cela nous semble en tout cas très naturel. Après un concert, rien ni personne ne nous indique de faire ce geste, ni à quel rythme nous devrions l'exécuter. Et pourtant, mystérieusement, ça marche. "Même un public de 50'000 personnes dans un stade de foot peut se synchroniser en deux secondes, sans avoir communiqué auparavant. C’est tout à fait fascinant", ajoute la chercheuse.
>> A écouter: "Erkenntnisse der Klatsch-Forscherin", un sujet de SRF "Kultur-Aktualität"
Les Allemands sont polis, les Italiens émotionnels
Cet accord tacite, qui fonde la façon dont une foule va applaudir, est en fait profondément culturel. Autres pays, autres usages, qu'il s'agit donc de découvrir. En Allemagne par exemple, la chercheuse constate que prime souvent un souci de politesse. "Dans le monde germanophone, il existe ce que je nommerais 'l’applaudissement standard allemand': on applaudit par principe, même si ce n’était pas franchement terrible." Quoi qu'il arrive, il est de mise de saluer le travail accompli par les artistes.
En Italie, on se montre nettement moins soucieux de politesse, et l'on applaudit en fonction du degré d'émotion ressentie. "J’ai souvent pu remarquer que les Italiens n’applaudissent guère après une représentation sans grand intérêt. Ils vont à peine battre un peu des mains et sortir". A contrario, sur un grand air très réussi, le public manifestera intensément sa joie, n'hésitant pas à se lever pour une standing-ovation.
Un code universel et très particulier
Applaudir est donc un geste tout à fois universel et très particulier. On peut croire en maîtriser parfaitement les codes, et se retrouver encore totalement perdu. La musicologue évoque en riant sa perplexité lors d'une représentation traditionnelle d’un opéra en Chine auquel elle assistait avec une consoeur. "Le spectacle durait quatre heures sans entracte, et nous ne sommes jamais arrivées à saisir pourquoi les gens applaudissaient à certains moments bien précis."
Le système politique semble aussi avoir une influence sur notre façon d'applaudir. La chercheuse évoque à ce sujet une étude effectuée dans les anciens pays du bloc de l'Est.
De nos jours encore, le public des anciens pays communistes parvient beaucoup plus rapidement qu'ailleurs à des applaudissements très rythmés et synchrones.
Un geste antique
Il semble que les Grecs anciens battaient déjà des mains pour marquer leur admiration. La mythologie attribue à Crotos, excellent chasseur mais aussi frère de lait des Muses et admirateur de leurs arts, l'invention des applaudissements. Il aurait pris l’habitude de frapper dans ses mains pour saluer la beauté de leurs chants, et les autres hommes l'auraient ensuite imité.
Quand, comment et pourquoi nous applaudissons: pour Jutta Toelle le sujet est encore loin d'être épuisé.
Sujet: Susanne Schmugge, SRF Kultur
Traduction et réalisation web: Manon Pulver
>> Cet article a été publié initialement sur SRF Kultur. A lire ici (en allemand)