Qu'a-t-elle de neuf la Pathétique de Beethoven?

Grand Format La Pathétique

wikipedia - Kristupas232

Introduction

La 8e sonate de Beethoven, connue sous le nom de "Pathétique", est une œuvre cardinale de l’histoire de la musique. Qu’a-t-elle de neuf? Entre ruptures, cohérence et proximité avec l’improvisation, décryptage avec le pianiste Ivan Ilic.

La Pathétique 1
Une oeuvre qui tranche

La Pathétique de Beethoven est une œuvre beaucoup jouée et beaucoup enseignée aujourd'hui. C’est une œuvre qui tranche, une œuvre risquée, d’un musicien en pleine recherche, qui s’émancipe ici de ses maîtres et prend un virage décisif.

On est en 1798. Le jeune Beethoven n’a pas encore trente ans. Originaire de Bonn, il est établi à Vienne. La noblesse de Bonn, ville universitaire et catholique comme Vienne, le recommande à son réseau viennois. Ainsi, favorisé par la haute aristocratie, Beethoven ne dépend pas de ses gains, et peut composer librement.

Gravure allégorique sur l'inspiration de Ludwig van Beethoven (1770-1827), compositeur et pianiste allemand, par Francois Joseph Aime de Lemud. [Collection Particulière Tropmi / AFP - Manuel Cohen]
[Collection Particulière Tropmi / AFP - Manuel Cohen]

La Pathétique 2
Talent de pianiste

A cette situation avantageuse s’ajoute le fait que ses premières compositions sont appréciées, et son talent de pianiste lui vaut des tournées. Le jeune Beethoven apparaît comme un jeune virtuose arrogant et insatisfait. Il affiche de hautes prétentions financières, dépense mal et vite ses gains.

Il semble, malgré tout, frustré dans ses propres recherches esthétiques. Tout au contraire de l’astre musical qui brille sur Vienne: le vieux Joseph Haydn, tranquille, respecté, affable, demandé dans toute l’Europe, au sommet de sa gloire et de sa fortune.

Mozart, l'astre viennois s'éteint en 1792. Pour Beethoven, qui avait tenté sans succès de rencontrer le divin Wolfgang quelques années plus tôt, Mozart est tout à la fois: un phare et une ombre imposante. Beethoven est habité d’un complexe d’infériorité vis-à-vis de Mozart, aimé du public, triomphant dès l’enfance avec une facilité qui manque à Beethoven.

En outre les œuvres de Mozart, en particulier celles en mineur, plus sombres et dramatiques (plutôt que celles brillantes et légères), impressionnent Beethoven au plus haut point. Le 24e concerto pour piano de Mozart est aux yeux de Beethoven un sommet à jamais insurpassable du genre.

Surgissant dans ce contexte, la 8e sonate apparaît comme l’une des œuvres par lesquelles Beethoven trouve sa voie, se profile, devient… beethovénien. Il en est conscient.

Il sait qu’avec cette pièce inhabituelle, marquée par des contrastes violents, il risque de déclencher des avis partagés au moment où il essaie de remporter des succès majeurs.

Roger-Viollet / AFP

La Pathétique 3
Le contexte historique

Il y a musicalement une énergie en lutte, qui ne trouve pas de solution, mais qui ne l’abandonne pas non plus. Cette lutte musicale s’inscrit dans une vision de l’humanité que l’on trouve aussi chez des philosophes comme Friedrich von Schiller.

En 1794 il tentait de définir le tragique dans une vie humaine. Beethoven, très intéressé à Schiller, a sans doute assimilé cette leçon. Il voit la difficulté, l’obstacle, mais aussi la résistance humaine. C’est cela qui donne l’espoir aux auditeurs de Beethoven. C’est là que réside la puissance de sa musique pour l’humanité. Pour Beethoven il y a toujours ce conflit de l’homme qui se bat contre la vie. Ce n’est donc pas seulement l’espoir que propose Beethoven, mais la résistance.

On ne peut pas ignorer ici le contexte: la Révolution française secoue l’Europe et si Vienne redoute une invasion française, elle n’en est pas moins touchée par ce message de résistance et de lutte.

Marie-Antoinette quitte la Conciergerie pour être conduite au lieu de son supplice (gravure d'après la peinture de William Hamilton). [Leemage - Bianchetti]
[Leemage - Bianchetti]

La Pathétique 4
L'ouverture de la Pathétique

La pièce commence par une introduction lente et grave qui soulève de nombreuses interrogations.

Commencer une sonate par une introduction lente n’est pas dans les tendances de ce temps.

Mais ça n’est pas une nouveauté non plus. Les compositeurs plus anciens, à l’époque baroque, le faisaient. En quoi cette ouverture est-elle nouvelle ?

>> Ivan Ilić décrypte le mouvement au piano :

Le pianiste Ivan Ilic dans son appartement à Bordeaux, le 3 octobre 2017. [AFP - Georges Gobet]AFP - Georges Gobet
RTSCulture - Publié le 3 mai 2018

D’une part par l’accent très fort mis par le compositeur sur les accords de 7e diminuée, instables et tendus par nature. Et surtout, on y trouve le contraste fortement marqué entre un côté lyrique placide et calme, qui fait penser à une ouverture d’opéra italien, et des ruptures violentes, comme le souligne le pianiste Ivan Ilić.

Un contraste qui devient caractéristique de l'oeuvre de Beethoven sur le plan musical, mais aussi philosophique: l’opposition entre la lutte et l’acceptation.

Sur le plan de la structure musicale, l’élément grave de l’introduction revient de manière têtue, alors que le mouvement a pris son allure vive. Pour Ivan Ilić, c’est comme si cet élément grave et pensif cherchait obstinément une réponse. Une réponse que Beethoven ne parvient pas à lui donner. Mais à défaut de réponse, et plutôt que de sombrer dans la mélancolie, il injecte de l’énergie, de la vitalité, ne cesse de réenflammer sa résistance.

Le pianiste Ivan Ilic. [AFP - Georges Gobet]AFP - Georges Gobet
RTSCulture - Publié le 3 mai 2018
AFP - Harlingue / Roger-Viollet

La Pathétique 5
Briser les codes de la sonate

Le schéma général de ce mouvement est bien celui classique, de la sonate: une forme bien maîtrisée, connue du public, avec des codes plutôt stables. Or Beethoven casse, ou du moins interrompt subitement ce schéma par ces interventions intempestives.

Une manière de faire que l’on trouvait plutôt dans des pièces proches de l’improvisation, comme les fantaisies de certains compositeurs de la génération précédente. Mais qui surprennent l’auditoire de ce temps, dans le cadre maîtrisé et codifié de la sonate. Les musiciens contemporains, en entendant ces ruptures, étaient sidérés. Beethoven est en train de chercher. Et il cherche avec sa nature d’improvisateur – une qualité admirée de Beethoven.

Sa nature et sa pratique d’improvisateur se révèlent également dans sa capacité à faire durer le mouvement musical, à partir d’un très petit matériau de base: de toutes petites briques musicales peuvent s’organiser en un édifice imposant. C’est là une signature de Beethoven, qui impressionne à son époque et détermine l’histoire de la composition jusqu’à aujourd’hui.

Le pianiste Ivan Ilic dans son appartement à Bordeaux, le 3 octobre 2017. [AFP - Georges Gobet]AFP - Georges Gobet
RTSCulture - Publié le 3 mai 2018

La Pathétique 6
Solutions nouvelles

Le pianiste Ivan Ilic. [AFP - Georges Gobet]AFP - Georges Gobet
RTSCulture - Publié le 3 mai 2018

S’il se distingue par cet esprit d’improvisation et ces ruptures subites, Beethoven n’en est que davantage préoccupé par ce qui donnera de la cohérence de l’ensemble de l’œuvre. Pour garantir cette cohérence, il propose une fois encore des solutions nouvelles.

Par exemple, en reprenant dans le troisième mouvement un thème du premier mouvement. Ou en donnant énormément de continuité à la transition entre le premier mouvement et le second, où l’on change de mouvement en restant sur la même note et dans le même registre.

Le jeune Ludwig van Beethoven (1770-1827) jouant devant Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791). [AFP - Roger-Viollet]
[AFP - Roger-Viollet]

La Pathétique 7
Accélérer le mouvement

Beethoven réutilise ses thèmes, mais en les découpant. Quand un thème est répété, il ne réapparaît souvent que d'une manière fragmentée, et à chaque nouvelle apparition, il est raccourci, haché menu de plus en plus.

Cela donne un sentiment d’accélération, d’une densité toujours plus grande.

>> A écouter le décryptage du pianiste Ivan Ili :

Le pianiste Ivan Ilic dans son appartement à Bordeaux, le 3 octobre 2017. [AFP - Georges Gobet]AFP - Georges Gobet
RTSCulture - Publié le 3 mai 2018

La Pathétique 8
Des textures instrumentales

Enfin, Beethoven se distingue dans cette sonate par une écriture très orchestrale. Là où son grand prédécesseur Mozart faisait chanter de grandes lignes mélodiques, Beethoven choisit des thèmes moins pour leur beauté mélodique que pour leur capacité à structurer l’harmonie de la pièce.

D’ailleurs, contrairement à Mozart, Beethoven ne sera jamais un grand compositeur d’opéra. Ce n’est pas le génie du chant qui l’habite, et il n’est pas aussi mélodiste que Mozart. Il est plus à l’aise dans la manipulation de textures instrumentales, où il peut travailler ses structures, découper ses thèmes et conduire par l’harmonie sans être captif d’un texte.

Le pianiste Ivan Ilic dans son appartement à Bordeaux, le 3 octobre 2017. [AFP - Georges Gobet]AFP - Georges Gobet
RTSCulture - Publié le 3 mai 2018
Collection Roger-Viollet

La Pathétique 9
La Pathétique

Écoutez la Sonate numéro 8, Op.13, "Pathétique", premier mouvement, par Wilhelm Kempff.

Portrait de Ludwig van Beethoven (1770-1827) par le peintre Joseph Karl Stieler (1781-1858). [AFP - Collection Roger-Viollet]AFP - Collection Roger-Viollet
RTSCulture - Publié le 3 mai 2018

La Pathétique 10
Versus-écouter sur Espace 2

>> A écouter la première partie de l'émission "Versus-écouter" :

Ivan Ilić et son Pleyel 1930. [wikipedia - ivan ilić]wikipedia - ivan ilić
Versus-écouter - Publié le 30 avril 2018

>> A écouter le deuxième volet de l'émission "Versus-écouter" :

Ivan Ilić et son Pleyel 1930. [wikipedia - ivan ilić]wikipedia - ivan ilić
Versus-écouter - Publié le 1 mai 2018