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"L’avenir de la musique classique est en Asie"

Les jeunes musiciens asiatiques trustent les scènes et les podiums de concours de musique classique. [Fotolia - Hanoi Photography]
Les jeunes musiciens asiatiques trustent les scènes et les podiums de concours de musique classique. - [Fotolia - Hanoi Photography]
La moitié des jeunes violonistes qui participent à Genève au Concours Menuhin 2018 sont d'origine asiatique. Une domination dans la musique classique qui va durer selon Gordon Back, directeur artistique de la compétition.

"C’est un fait établi" que les jeunes musiciens asiatiques trustent les scènes et les podiums de concours de musique classique, assure Gordon Back, directeur artistique du Concours Menuhin que Genève accueille jusqu'au 22 avril. "Dans chaque compétition de violon, de violoncelle, de piano ou de chant, ils sont finalistes ou lauréats", poursuit le Britannique.

>> A lire : Le Concours Menuhin fait de Genève la capitale mondiale du violon

Nette prédominance

Les chiffres confirment ce constat pour le Concours Menuhin qui a la particularité de s’adresser à de jeunes et très jeunes violonistes (tous ont moins de 22 ans). En 2018, à Genève, 23 candidats sur 44 représentent la Chine, la Corée du Sud, le Japon, Singapour ou Taïwan. Une proportion quasi constante depuis dix ans: 24 candidats asiatiques sur 44 à Londres en 2016, 20 sur 42 à Austin en 2014, 24 sur 42 à Pékin en 2012, 16 sur 42 à Oslo en 2010 et 19 sur 43 à Cardiff en 2008.

Des participations au Menuhin couronnées de succès: sur les six dernières éditions, les interprètes de ces pays ont remporté trois premiers prix, six deuxièmes prix et trois troisièmes prix (le Concours Menuhin comporte deux classes d’âge et distribue

La violoniste sud-coréenne Ji Young Lim a remporté le concours Reine Elizabeth en 2015. [facebook.com/violinistJiYoungLim - Andreas Malkmus]

donc plusieurs premiers prix et suivants). Une réussite que l’on retrouve dans d'autres compétitions: en 2015, le tiers des candidats du Concours Tchaikovski étaient asiatiques; la même année, la moitié des finalistes du concours Reine Elizabeth venaient d’un pays d’Asie. Une Sud-Coréenne, Ji Young Lim, l’a remporté.

Une politique volontariste

Pourquoi tant de victoires? "Le violon n’est pas un instrument qui s’apprend sur le tard", assène Tedi Papavrami, soliste international et professeur à la Haute Ecole de musique de Genève. "C’est une question d’engagement: s’il n’y a pas un temps de travail quotidien dès le plus jeune âge, on ne devient pas un virtuose."

"Pour produire un bon musicien, il faut du talent mais surtout beaucoup de travail, une discipline valorisée dans les pays d’Asie", renchérit Didier Schnorhk, président de la Fédération mondiale des concours internationaux de musique.

Le cas de la Corée du Sud est d'ailleurs exemplaire, poursuit-il: "Dès les années 1980, il y a eu une volonté d'investir dans l’éducation en général et dans la culture en particulier. On a ouvert des écoles de musique formidables, invité les meilleurs professeurs de l’étranger et développé des structures de diffusion culturelle. La présence de candidats sud-coréens dans les concours est le fruit de ces programmes. Et il y a plus: formés en Europe et aux Etats-Unis, les meilleurs musiciens reviennent maintenant enseigner en Corée. Il est désormais possible de faire sur place toutes ses études et de gagner des concours internationaux." Et les observateurs louent la musicalité de ces artistes.

On n’entend plus du tout de techniciens surentraînés qui oublient l’essence de la musique.

Svetlin Roussev, premier violon solo de l’Orchestre de la Suisse romande et professeur à la Haute Ecole de musique de Genève

La Chine après la Corée

Pour autant, Didier Schnorhk insiste: la question de la domination asiatique sur le violon ne se pose pas pour la fédération qu'il dirige et qui représente la moitié des concours d’interprétation de musique classique mondiaux. "Ce n’est pas un sujet ou une source d’inquiétude, pas plus que l’on se préoccupe de la prédominance des pianistes russes ou des vents français. Et nous sommes bien conscients que l’avenir de la musique classique se trouve en Asie. Elle y trouve un second souffle et nous en bénéficions: sans ces jeunes Asiatiques, il n’est pas sûr que les conservatoires occidentaux auraient autant de succès!"

Et si, malgré tout, on souhaitait accroître le nombre de jeunes virtuoses suisses (2

Le violoniste Tedi Papavrami. [Kaupo Kikkas]

participants sur 44 au Menuhin en 2018)? Selon Tedi Papavrami, il manque la volonté politique d’assurer "un nombre suffisant d'heures de travail dans les conservatoires dès le plus jeune âge et d’adapter le système scolaire pour que l’enfant puisse se consacrer davantage à son instrument – ou au sport ou à la danse, le cas échéant."

Dans les années à venir, après la Corée du Sud aujourd'hui, c’est la Chine qui devrait monter en puissance. "En tournée en Chine, relate le violoniste Svetlin Roussev, vous jouez, au milieu de nulle part, dans des petites villes pour le pays qui rassemblent… sept à dix millions d’habitants! Les salles sont magnifiques et viennent d’être construites, il y a des écoles de musiques, des orchestres, des festivals. C’est une vague de musiciens talentueux qui va arriver".

Benoît Perrier/mh

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