Le sitar, emblème musical de l'Inde du Nord

Grand Format

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Introduction

Au début des années 1960, alors que l'Occident s'ouvre à de nouvelles formes musicales, la musique indienne fascine bientôt autant les milieux de la pop que ceux du classique ou du jazz. Au cœur de cette rencontre, le sitar s'impose comme un emblème.

L'instrument

Le sitar est un luth très particulier constitué d'une caisse de résonance en calebasse et d'un long manche creux en bois évidé, muni d'une vingtaine de frettes en métal courbées et amovibles. Sur la table d'harmonie, deux chevalets plats tirent parti de la vibration des cordes pour faire naître une sorte de grésillement harmonique et créer un son lumineux tout à fait caractéristique.

Les cordes se répartissent en trois groupes. Celles qui servent la mélodie sont jouées à l'aide d'un onglet fixé sur l'index de la main droite, tandis que les doigts de la main gauche les tirent sur l'une ou l'autre des frettes, reproduisant ainsi les intonations de la voix humaine.

Deux à trois autres cordes, les chikari, servent de bourdon rythmique et sont régulièrement frottées par le petit doigt de l'instrumentiste. Enfin celles qu'on dit "sympathiques", au nombre de douze à vingt, ne sont pas jouées avec les doigts, mais vibrent et amplifient les notes pincées.

La première mention d'un "sitar" dans la littérature indienne remonte à la première moitié du 18e siècle, associée à celle d'un musicien de la cour de Delhi, Khusrau Khan. La légende semble ensuite avoir confondu cet artiste avec un prestigieux homonyme, le grand poète et musicien mystique Amir Khusrau, qui vécut également à Delhi, mais cinq siècles plus tôt. Le sitar, lui, y a en tout cas gagné en prestige.

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Deux écoles

Aujourd'hui, les musiciens classiques indiens utilisent essentiellement deux modèles de sitar. Ils correspondent à deux écoles traditionnelles (gharana: littéralement "ceux qui vivent sous le même toit") qui privilégient chacune une approche particulière de la musique hindoustanie, la tradition classique du nord de l'Inde.

Le premier type de sitar est associé à l'Imdadkhani gharana, une tradition familiale fameuse dont on peut remonter la filiation sur sept générations. Renouvelé au 20e siècle par Ustad Vilayat Khan (1928-2004), le jeu y est particulièrement virtuose et brillant, mais toujours inspiré et au service d'une approche particulièrement poétique et mélodique de la musique, caractéristique d'un genre vocal appelé khyâl. Ce style se retrouve dans les enregistrements et les concerts des autres membres de la famille: Imrat Khan (le frère), Shujaat Khan (le fils), Nishat Khan et Shahid Parvez Khan (les neveux).

Le second instrument est directement lié à son concepteur, Pandit Ravi Shankar (1920-2012), et à la tradition à laquelle il se rattache: la Maihar gharana. Sur ce type de sitar, le bourdon est moins fourni, mais deux cordes graves supplémentaires permettent de descendre plus bas dans l'exploration des modes. Une deuxième calebasse peut être rattachée en haut du manche pour en amplifier encore la résonance. Sa puissance et l'étendue de sa tessiture ont valu à ce sitar d'être choisi par de nombreux musiciens: l'inoubliable Nikhil Banerjee (1931-1986), Krishna Bhatt, Kushal Das, et bien sûr les nombreux disciples de Ravi Shankar, dont sa propre fille Anoushka Shankar.

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Ravi Shankar, le passeur

L'ex-Beatles George Harrison disait de lui qu'il était le parrain de la world music: Ravi Shankar a en tout cas été un des premiers à diffuser la musique classique indienne sur les plus grandes scènes internationales, à l'expliquer et à la partager avec le public et les musiciens occidentaux. À une époque où la musique classique hindoustanie reste encore confinée aux cours des Maharadjas, il a tout juste dix ans lorsqu'il intègre la troupe de son frère Uday, au sein de laquelle il danse bientôt sur les scènes de Venise, Paris et Londres. Paradoxalement, c’est à Paris qu'il rencontre celui qui deviendra son gourou, Ustad Baba Allauddin Khan, maître de musique à la cour de Maihar, invité par Uday à participer à une tournée européenne.

En 1938, Ravi Shankar revient en Inde, rejoint Allauddin Khan et s'adonne entièrement à son enseignement. En 1945, il s'installe à Bombay, compose pour le cinéma et le ballet et participe à ses premières séances d'enregistrement. Ce passage en studio lui ouvre les portes de la radio nationale (All India Radio) dont il est nommé directeur musical, puis directeur artistique. Cette collaboration durera jusqu'en janvier 1956, faisant de lui une personnalité majeure de la musique indienne. A partir de là, l'incroyable carrière internationale de Ravi Shankar l'amènera à repenser l'enseignement traditionnel et à l'adapter aux nouvelles donnes culturelles et sociales d'une mondialisation naissante.

>> A écouter, hommage à Ravi Shankar (1/2): L'appel de la tradition, dans "Versus" :

Ravi Shankar à Delhi en mars 2009 [wikipedia - Alexandra Ignatenko]wikipedia - Alexandra Ignatenko
Versus-écouter - Publié le 11 décembre 2017

>> A écouter, hommage à Ravi Shankar (2/2): Ouverture et transmission, dans "Versus" :

Ravi Shankar à Delhi en mars 2009 [wikipedia - Alexandra Ignatenko]wikipedia - Alexandra Ignatenko
Versus-écouter - Publié le 12 décembre 2017

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Tradition, transgression et réappropriation

Lorsqu'en 18 juin 1967, devant un public de 200'000 spectateurs, Ravi Shankar donne un concert de quatre heures sur la scène du Monterey International Pop Festival, le sitar est devenu entre ses mains l'emblème de la musique indienne pour toute une génération d'Occidentaux.

Deux ans plus tôt, George Harrison l'intégrait à l'esthétique des Beatles et en jouait sur "Norwegian Wood", contribuant à sensibiliser le public pop à l'esthétique indienne.

George Harrison des Beatles en compagnie de son mentor musical Ravi Shankar (à droite). [AP File Photo]
George Harrison des Beatles en compagnie de son mentor musical Ravi Shankar en 1967. [AP File Photo]

Mais à la même époque, le maître du sitar exerce également une véritable fascination sur des musiciens aussi différents que Yehudi Menuhin, Philip Glass ou John Coltrane. Les collaborations prestigieuses s'enchaînent, Ravi Shankar compose des musiques de films, des concertos pour sitar et orchestre, de la musique d'ensemble, ouvrant la voie à toutes sortes d'expérimentations menées désormais tant par des sitaristes occidentaux qu'indiens.

C'est ainsi qu'en 1970, un disciple américain de Ravi Shankar, le multi-instrumentiste Colin Walcott (1945-1984) crée le groupe Oregon, à l'avant-garde du jazz et des musiques expérimentales, dans lequel le sitar et les tablas - la percussion qui l'accompagne traditionnellement - occupent une place importante. A travers plusieurs albums publiés chez ECM - "Cloud Dance" en 1976, "Grazing Dreams" en 1977 -, Colin Walcott poursuit l'aventure sous son nom et invente pour le sitar une nouvelle façon de se s'intégrer dans le jazz contemporain.

Pochette de l'album "West Meets East" de Yehudi Menuhin et Ravi Shankar. [Bgo Records]
Pochette de l'album "West Meets East" de Yehudi Menuhin et Ravi Shankar. [Bgo Records]

Crédits

Une proposition de Vincent Zanetti pour l'émission "Versus" sur Espace 2.

Réalisation web: Lara Donnet

RTS Culture

Décembre 2017