Dinu Lipatti, un pianiste de génie

Grand Format

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Introduction

Malgré la brièveté de sa carrière, le pianiste roumain Dinu Lipatti est aujourd’hui salué comme l’un des plus grands pianistes du 20e siècle.

Elève d'Alfred Cortot

C’est peut-être Alfred Cortot qui, le premier, a pressenti le formidable talent de Dinu Lipatti. Le pianiste français faisait partie des membres du jury lors du Concours international de piano de Vienne en 1933 auquel participe Lipatti. Il n’a alors que 16 ans. Cortot fasciné par la jeunesse et la fougue de ce jeune musicien, suggère qu’on lui remette le premier prix, mais les membres du jury lui préfèrent un autre pianiste. Du coup, Cortot démissionne en signe de protestation et quitte Vienne pour Paris non sans avoir félicité chaleureusement le lauréat. Il l’invite à le suivre en France.

Alfred Cortot. [AFP]
Alfred Cortot. [AFP]

L’année suivante, répondant à l’invitation de Cortot, Lipatti se rend à Paris et entre à l’École Normale de musique. Il perfectionne son jeu pianistique sous la houlette de Cortot et d’Yvonne Lefébure, mais il prend également des cours de compositions auprès de Paul Dukas et d’Igor Stravinsky et des cours de direction d’orchestre dans la classe de Charles Munch.

Cortot était un professeur extrêmement exigeant et sans compromission. Il faisait jouer à son élève les mêmes études pendant des semaines avant de passer à une autre pièce. Lipatti a adopté la discipline mentale de son professeur et s’est imposé pour habitude de ne jamais jouer une œuvre en public avant de l’avoir entièrement comprise. Il étudiait des œuvres pendant des années avant de la présenter en concert.

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Nadia Boulanger, un modèle

Dinu Lipatti a fréquenté à Paris le salon de Nadia Boulanger. Cette formidable pédagogue n’a pas fait long avant de découvrir son talent. Non seulement elle a salué l’intelligence musicale exceptionnelle de l'interprète, mais elle a également encouragé et reconnu la force de l’expression musicale du compositeur qu’il était.

Dinu Lipatti avait beaucoup d’affection pour Nadia Boulanger et voyait en elle un modèle musical autant qu’une mère spirituelle. Il existe un enregistrement où l’on entend Lipatti à quatre mains avec elle. Ils interprètent quelques-unes des Valses de Johannes Brahms. Un magnifique souvenir des années parisiennes.

"Écoutez les disques de Dinu Lipatti. Écoutez-les de nombreuses fois. Entourez-les de silence, sans lequel il n’y a pas de réelle attention et vous comprendrez quel message ils nous délivrent".

Nadia Boulanger

En tournée

Sa carrière de concertiste commence peu après son installation à Paris. Dès 1936, il part en tournée. Il se produit aussi bien en soliste qu’en compagnie d’autres musiciens. Ses enregistrements ne le laissent pas vraiment supposer, mais il adorait la musique de chambre. Durant ses années à l’École normale de Paris, il avait constitué un trio avec des amis étudiants, notamment avec la violoniste Ginette Neveu et le violoncelliste Antonio Janigro. Il fera même une tournée en Suisse avec ce dernier et réalisera avec lui plusieurs enregistrements qui ne seront jamais édités de son vivant.

Parmi les partenaires de chambre de prédilection figure son compatriote Georges Enescu, compositeur, pianiste et violoniste qui était également son parrain et son mentor.

Les mains du pianiste Dinu Lipatti [DP]
Les mains du pianiste Dinu Lipatti [DP]

Sa vie à Genève

Après quatre années au cours desquelles les deux artistes se produisent un peu partout en Roumanie, Dinu Lipatti décide en 1943 de fuir son pays et de s’installer en Suisse avec sa femme Madeleine Cantacuzène, elle-même professeur de piano réputée. Le couple s’établit à Genève. Dinu Lipatti se voit confier une classe de virtuosité au Conservatoire.

Romanian pianist Dinu Lipatti (1917-1950) and his wife Madeleine Cantacuzene in Besançon, France, on 16 September 1950. [DP]
Le pianiste Dinu Lipatti et sa femme Madeleine. [DP]

C'est à ce moment-là qu'apparaissent les premiers signes de la maladie de Hodgkin qui devait l’emporter sept ans plus tard. Le pianiste est contraint de diminuer la fréquence de ses concerts.

Mais la notoriété du pianiste roumain ne pouvait pas manquer d’attirer l’attention d’Ernest Ansermet, autre Genevois illustre, qui ne tarde pas à inviter le pianiste à se produire au Victoria Hall. Ensemble ils donneront plusieurs concerts et enregistreront également quelques disques inoubliables. Ils ont notamment gravé une version mémorable du 1er concerto de Franz Liszt et, en 1950, du Concerto de Schumann.

Des enregistrements mémorables

En 1946, il signe un contrat avec Walter Legge, producteur musical britannique et découvreur de talents qui travaille alors avec les plus grandes stars de la musique de l’époque, Karajan, Callas, Furtwängler ou encore Schwarzkopf. Dinu Lipatti entre donc dans l’écurie EMI qui, dès l’année suivante, commence à publier les enregistrements qui vont faire sa renommée internationale.

Son enregistrement du concerto d’Edouard Grieg compte parmi les best-sellers publiés du vivant du pianiste. Ce disque est sans doute un des meilleurs exemples de la vivacité de son art, de son étourdissante virtuosité, doublé d’un lyrisme tendre et d’une sonorité incroyablement riche et ample.

"Il s’agit non seulement d’une exécution pianistique extraordinaire, mais d’une manière totalement nouvelle de jouer du piano."

Arthur Schnabel à propos de l'interprétation du Concerto d'Edouard Grieg par Dinu Lipatti

Son jeu unique se distingue alors par sa fidélité au texte et sa technique exceptionnelle, utilisée de manière judicieuse et toujours musicale.

Lipatti prend le temps de dire ce qu’il a envie de dire, c’est un véritable poète du piano qui parle. On est bien loin de la virtuosité pure. Parfois le pianiste met des notes à côté, mais quelle poésie, quelle force, quelle énergie dans ce jeu où chaque note a un sens.

>>Ecouter l'émission "Quai des Orfèvres" consacrée à Dinu Lipatti (4 avril 2017):

Le pianiste Dinu Lipatti, très admiré pour son sens du tempo et la pureté de son jeu. [CC-BY-SA - Germaine Martin]CC-BY-SA - Germaine Martin
Quai des orfèvres - Publié le 4 avril 2017

Son dernier concert à Besançon

L’enregistrement de son dernier concert à Besançon en 1950 est devenu mythique. Il y joue des Valses de Chopin qui donnent une idée de la vitalité, du panache et de l’éclat dont le pianiste était capable. Il fait preuve de sensibilité sans jamais tomber dans le sentimentalisme. Attentif aux contrastes, il développe une expression très distinguée.

"Jésus que ma joie demeure", choral extrait de la cantate "Jesus bleibet meine Freude" arrangé pour piano par Myra Hess est l’une des œuvres que l’on associe le plus souvent à Dinu Lipatti. Il la donnait volontiers en concert ou alors comme bis. Elle a inauguré son tout premier récital à Paris et conclut son dernier concert à Besançon en 1950.

>>Dinu Lipatti joue "Jésus, que ma joie demeure" (version de 1947):

Crédits

Texte et proposition: Catherine Buser

Réalisation web: Andréanne Quartier-la-Tente