Alfred Cortot, poète du piano

Grand Format

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Introduction

Le pianiste et pédagogue français épris de Chopin inspira plusieurs générations de musiciens, dont Clara Haskil et Yvonne Lefébure, grâce à ses interprétations uniques.

Ambassadeur de la musique française

Alfred Cortot constitue sans doute l’un des plus illustres pianistes de son temps. Magnifique interprète des compositeurs romantiques et de Chopin en particulier, il fut également l’ambassadeur chéri de la musique française ainsi qu’un pédagogue apprécié.

Initiateur de la formule de la master classe, il a créé l’École Normale de musique de Paris qui porte aujourd'hui encore son nom.

Façade de l'École Normale de Musique, rue Cardinet à Paris, par Auguste Perret (1929). [AFP]
Façade de l'École Normale de Musique, rue Cardinet à Paris, par Auguste Perret (1929). [AFP]

Alfred Cortot et Chopin

Alfred Cortot possédait un répertoire immense mais c’est sans doute par ses enregistrements de Chopin qu’il s’est particulièrement distingué. Il avait une façon de faire chanter le piano qui était unique. Sous ses doigts virtuoses, l’instrument chante avec une éloquence et une variété de nuances d’apparence très libre, mais qui repose en réalité sur une conception minutieusement élaborée des œuvres. Sous le couvert de l’improvisation tout est soigneusement contrôlé et pensé.

C’est grâce à Edouard Risler, de quatre ans son aîné, que Cortot a découvert la musique de Chopin. Ce dernier lui dévoile l’importance de l’expression et de l’émotion. Sous sa gouverne, Cortot va développer une approche de la musique qui va révolutionner son temps: désormais son ambition sera de mettre en valeur le côté émotionnel de la musique. La technique en soi ne l'intéressait pas en tant que telle, elle ne devient pour lui qu’un véhicule pour exprimer la musique. Dans ce sens, il allait à l’encontre de l’enseignement véhiculé par son professeur Louis Diémer qui dominait en France à l’époque et qui privilégiait au contraire la perfection digitale aux dépens de l’expression.

Il a été ainsi l’un des premiers à considérer les Etudes de Chopin non pas comme des exercices techniques mais comme un véritable monument où chaque pièce est un joyau de musique.

Le pianiste Alfred Cortot photographié en 1959 à Sienne. [Leemage/AFP]Leemage/AFP
Quai des orfèvres - Publié le 21 février 2017

Quand le sentiment l'emporte sur la technique

L'approche du piano de Cortot a été bien souvent critiquée en raison des nombreuses libertés qu'il prenait par rapport à la partition, en particulier par une utilisation systématique du rubato et par ses petites approximations techniques qui devaient s’accentuer fortement à l'extrême fin de sa carrière.

Mais, comme le chef d'orchestre Wilhelm Furtwängler auquel il fut souvent comparé, Cortot ne cherchait pas la perfection dans les détails. Il privilégiait une approche unitaire de l'œuvre où le phrasé avait plus d'importance que la mesure.

Il existe un véritable style Cortot dont il est l’instigateur et que l'on reconnaît entre tous. Le pianiste pense chaque interprétation comme une recréation qui doit laisser la place à l'improvisation. Pour lui, la partition,  les signes notés sur le papier, la lettre de la musique, ne sont qu'un support pour l'imagination créatrice: il faut d'abord les assimiler parfaitement pour pouvoir ensuite  les oublier et s'envoler, avec une liberté exaltante.

Quand les mains de Cortot n'existeront plus, Chopin mourra une seconde fois.

Stefan Zweig, écrivain

Alfred Cortot dans le 1er Concerto pour piano de Beethoven

Aux côtés de l’Orchestre de Chambre de Lausanne dirigé par Victor Desarzens, le pianiste grave son unique performance de cette œuvre en avril 1947.

Un enregistrement tiré des archives de la Radio Suisse Romande.

Alfred Cortot. [AFP]AFP
Magma - Publié le 20 avril 2015

Chef d'orchestre

Alfred Cortot se sentait un peu à l’étroit au piano pour exprimer ses émotions. Dans sa jeunesse, il avait rêvé de devenir chef d’orchestre. C’est la découverte de la musique de Wagner qui a suscité en lui cette vocation.

Ayant décroché son premier prix au Conservatoire de Paris, la maison Pleyel lui avait offert un voyage à Bayreuth où il rejoint Risler qui lui présente Cosima Wagner, fille de Liszt et épouse de Richard Wagner. La découverte de Bayreuth fut un tel choc qu’il décide alors de devenir chef d’orchestre pour diriger la première du "Crépuscule de Dieux" à Paris. Il remportera un véritable triomphe le 15 avril 1902. Il renouvelle l’opération l’année suivante avec "Parsifal", puis élargit ses horizons en créant Les Concerts Cortot, une association symphonique, à la tête duquel il se fait le champion de Bach, Beethoven, Brahms mais aussi des compositeurs français de l’époque.

Malheureusement cette activité de chef d’orchestre ne sera pas pleinement une réussite. Si la critique est unanime à louer son audace, elle est plus réservée quant à la qualité de ses interprétations. Et surtout, ses projets sont un désastre sur le plan financier. Cortot se voit contraint de reprendre sa carrière de pianiste.

Alfred Cortot en Allemagne

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Alfred Cortot et le chef allemand Wilhelm Furtwängler (photo) se connaissent très bien et nouent une relation d’amitié dès les années 1920.

Aussi pendant la guerre, lorsque le grand chef invite Cortot à donner des concerts en Allemagne, le pianiste lui répond favorablement en ne posant comme seules conditions de donner son premier concert entièrement gratuit au foyer français de Berlin et de jouer toujours gratuitement pour les prisonniers français détenus dans les Stalags.

L'invitation de Furtwängler et les concerts en Allemagne n'avaient aucun contenu politique explicite mais Cortot, comme Furtwängler, est "totalement inconscient" de l'immense portée symbolique de l'événement: Cortot devient ainsi le premier musicien français à jouer en Allemagne.

Cortot fait donc deux tournées en Allemagne en juin et novembre 1942. Ces concerts lui seront par la suite très vivement reprochés.

La musique de chambre

Pour Alfred Cortot, la sonorité est essentielle. Cette richesse sonore a souvent été associée à son expérience de chef d'orchestre et à sa fascination pour la richesse de l'orchestration wagnérienne.

Son expérience dans le domaine de la musique de chambre, notamment avec  Jacques Thibaud et Pablo Casals avec qui il a constitué un trio de réputation internationale, a joué aussi un rôle important . Cortot devait déclarer que c'est en accompagnant les cordes qu'il avait appris à faire "chanter" son instrument.

Jacques Thibaud (1880-1953) avec Alfred Cortot (1877-1962) vers 1925. [AFP]
Jacques Thibaud (1880-1953) avec Alfred Cortot (1877-1962) vers 1925. [AFP]

Entretiens d'archive

Une série d'entretiens de la Radio Suisse Romande enregistrés entre 1953 et 1960 retrace le parcours musical d'Alfred Cortot.

Alfred Cortot en 1959. [RTS]
Alfred Cortot en 1959. [RTS]

>> Notre dossier : Alfred Cortot, pianiste et pédagogue

Un pédagogue hors pair

Alfred Cortot fut aussi un pédagogue réputé et recherché. Initiateur de la formule de la master classe, il a créé avec Auguste Mangeot l'École Normale de musique de Paris qui porte aujourd'hui son nom. Au nombre de ses élèves figurent quelques-uns des plus grands pianistes du XXe siècle, Clara Haskil, Samson François, Setrak, Yvonne Lefébure, Marcelle Meyer, Vlado Perlemuter, Thierry de Brunhoff, etc...


L'immense notoriété que le pianiste acquiert au cours de l’entre-deux guerres l’amène, à partir de 1940-41, à assurer plusieurs missions dans le cadre du Secrétariat Général des Beaux-Arts.


Après la guerre, il retrouve toute son audience de grand pianiste international, donnant entre 1945 et 1958 près de mille concerts dans le monde. En 1952, le Japon donne même son nom à l’une de ses îles – Cortoshima.

Alfred Cortot s’éteint le 15 juin 1962, à Lausanne.

Retour sur une carrière exceptionnelle

En 2012, à l'occasion du 50e anniversaire de la mort d’Alfred Cortot, "Musique en mémoire" (Espace 2) fait le point sur la carrière exceptionnelle du pianiste en compagnie de deux invités séduits par l’art et le talent de ce formidable musicien.

François Anselmini, agrégé d’histoire et enseignant à l’université de Caen, déroule le fil de toute une vie consacrée à la musique tandis que Rémi Jacobs, lauréat du CNSMDP et auteur d’un mémoire sur les cours d’interprétation de Cortot, lève le voile sur ses compositeurs de prédilection.

Portrait du pianiste Alfred Cortot à Milan en 1946. [AFP]
Portrait du pianiste Alfred Cortot à Milan en 1946. [AFP]

>> Ecouter les cinq émissions de "Musique en mémoire" : Alfred Cortot, une exceptionnelle carrière

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