Martha Argerich: "J'aimerais vivre autrement, mais je ne sais pas comment"

Mi-août, Martha Argerich bouclait une série de concerts en Argentine lorsqu'elle a ressenti les premiers symptômes du Covid. "Pendant vingt jours, je n'ai rien fait, je dormais, j'avais perdu l'odorat et le goût", raconte-t-elle à la RTS. Forcée d'annuler plusieurs concerts en Autriche, Allemagne et au Festival de Lucerne, la pianiste a pu finalement assurer son engagement aux Variations musicales de Tannay. Samedi 26 août, Martha Argerich a joué trois sonates de Beethoven, Prokofiev et Bach avec le violoniste Tedi Papavrami, ovationnée par le public debout.

Malgré les années et son immense carrière, l'artiste souffre toujours du trac. "C'est très désagréable. J'ai le trac depuis petite. Quand j'étais plus jeune, j'avais le genou qui tremblait, mais pas les mains. (...) On se sent responsable de montrer cette musique devant les gens. La musique, c'est sérieux. (...) On se prépare et au moment de jouer, il y a peut-être complètement autre chose qui se passe. Il y a énormément d'imprévus, des fois très agréables et des fois non."

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Daniel Bockwoldt - AFP

La musique se passe de mots

Pour elle, la musique ne nécessite pas de mots pour être exprimée ou expliquée. "Elle coule, comme la vie. (..) La musique exprime tellement de choses! Sans mots, on est libre d'interpréter comme on veut", explique-t-elle. Peu sensible aux hommages ("en général, les hommages font référence au passé"), elle exprime aujourd'hui le souhait de vivre plus librement.

Qu'est-ce que ça veut dire, la carrière?

Martha Argerich a connu de longues périodes pendant lesquelles elle ne touchait plus un piano. Elle a rapidement décidé de ne plus signer de contrat d'engagement pour garder la liberté d'annuler le concert au dernier moment. "Qu'est-ce que ça veut dire, la carrière? Je ne suis pas d'accord avec mon style de vie. Mais cela a toujours été comme ça et cela continue, rien ne change. Cela ne me plaît pas de voyager, de donner des concerts tout le temps. J'aimerais avoir plus de temps pour moi, pour faire n'importe quoi d'autre. Je me sens obligée. (...) Maintenant je suis assez âgée, j'aimerais vivre un peu autrement, mais je ne sais pas comment", indique-t-elle.

"Vivre au jour le jour"

Arrêter de jouer ne semble pas constituer une alternative pour autant. "Je n'aime pas les choses définitives. (...) Ce que je n'aime pas, ce sont les projets [à long terme], je trouve cela absurde. J'aimerais vivre au jour le jour. Mais cela n'est pas possible justement, à cause de cette fameuse carrière. [...] La vie, c'est comme être sur un vélo. Si vous vous arrêtez, vous tombez!"

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A 82 ans, cette icône du piano aime s'entourer de ses amis musiciens, de ses complices. "Je n'aime pas jouer seule, je ne fais plus de solo depuis assez longtemps", dit-elle. Présidente du jury du concours Jeune Chopin 2023 dédié aux enfants et à la jeunesse, elle s'apprête à se produire avec certains des lauréats les 31 août et 1er septembre 2023 au Casino de Montbenon à Lausanne. Les concerts sont dédiés à la mémoire de Nelson Freire, pianiste brésilien décédé en 2021 et très proche ami de Martha Argerich.

Puis on pourra la retrouver les 13 et 14 septembre, toujours à Lausanne, dans le Concerto pour piano en la mineur op. 54 de Robert Schumann avec l'Orchestre de chambre de Lausanne sous la direction de son ami Renaud Capuçon. Entre temps, elle aura donné quatre autres concerts en Italie, à Paris, à Locarno. Plus de vingt autres l'attendent jusqu'à Noël, partout en Europe. Le repos et la vie plus libre devront encore patienter.

Propos recueillis par Manuela Salvi

Adaptation web: Melissa Härtel

^{Martha Argerich en concert au Casino de Montbenon, Lausanne. 31 août et 1er septembre 2023.}