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Benjamin Bernheim sur le boulevard des Italiens pour son nouvel album

Benjamin Bernheim documente plus d'un siècle de musique lyrique italienne en France sur son album "Boulevard des Italiens".
Edouard Brane
Deutsche Grammophon [Deutsche Grammophon - Edouard Brane]
Benjamin Bernheim sur le Boulevard des Italiens / L'Actu Musique / 13 min. / le 10 mai 2022
Documentant plus d'un siècle de musique lyrique italienne en France, le nouvel album du ténor franco-suisse Benjamin Bernheim, "Boulevard des Italiens", vient de sortir sur le prestigieux label Deutsche Grammophon.

"Le but était vraiment de montrer l'histoire de la langue française dans les opéras parisiens à travers ces compositeurs italiens qui y ont apporté leurs pièces. Avec l'Opéra Garnier d'un côté et l'Opéra-Comique de l'autre, c'est sur le boulevard des Italiens que tout s'est passé", explique Benjamin Bernheim dans le texte de promotion de son dernier album, "Boulevard des Italiens",.

Le vertige de Balzac

"Quel attrait, quelle atmosphère capiteuse pétillent entre la rue Taitbout et la rue Richelieu […] C'est un rêve d'or et d'une distraction invincible. […] l'Opéra et ses mille pieds y passent à tout moment […] Dix théâtres, y compris celui de Comte, rayonnent aux environs. […] Ce mouvement vertigineux vous gagne; il est dangereux de rester là, sans une causerie ou une pensée intéressante."

C'est par ces mots qu'Honoré de Balzac décrivait le boulevard des Italiens dans son "Histoire et physiologie des boulevards de Paris" en 1845. Ce boulevard qui doit son nom au Théâtre-Italien, dont l’existence a été multiple.

Au XIXe siècle, sa troupe et celle de l’Opéra-Comique ne font qu’un et leur réputation dépasse les frontières. Beaucoup de compositeurs, attirés par le prestige de la capitale française alors en pleine effervescence, font le voyage et viennent boulevard des Italiens confronter leur savoir-faire au public parisien, réputé exigeant et passionné.

Ce passage, quasi obligatoire pour confirmer le statut européen d’un musicien de théâtre, est à l’origine du "Don Carlos" de Verdi, de "La favorite" de Donizetti et d’autres ouvrages écrits à Paris en français par des Italiens.

Mais, au boulevard des Italiens, on fait également découvrir aux Parisiens les chefs-d’œuvre transalpins déjà existants. Et l’opéra étant avant tout une affaire de théâtre, il est de première importance que le public ait accès au texte chanté par les protagonistes. En l’absence de surtitrage, c’est le choix de la traduction qui est privilégié.

Entre bijoux négligés et pages connues

"Boulevard des Italiens", beau disque consacré à ce répertoire singulier par Benjamin Bernheim, est remarquable. Accompagné par l'Orchestra del Teatro Comunale di Bologna, sous la direction du chef français Frédéric Chaslin, le ténor franco-suisse met en valeur ce corpus hybride, entre musique italienne et langue française, avec une diction impeccable, une voix savamment nuancée et une inaltérable élégance.

Élaboré avec l’assistance musicologique du Palazzetto Bru Zane, le Centre de recherche sur la musique romantique française, à Venise, l’album est solidement construit et panache bijoux négligés et pages connues. Mais dans tous les cas, ce que laisse entendre Benjamin Bernheim, c’est qu’on ne passe pas impunément d’une langue à l’autre. L’exercice est passionnant!

Ni la même, ni une autre

Acte II de "Madame Butterfly" de Giacomo Puccini: Pinkerton va quitter Madame Butterfly. Il n’a pas le courage de lui dire qu’il s’en va, et pleure son adieu à la maison et aux fleurs. Dans la version française, chantée par Benjamin Bernheim, c’est la même musique bien sûr, sublime, de Puccini. Et c’est le même récit, un homme qui abandonne une femme. En italien, il dit "Addio", en français "Adieu", mais la teneur générale est semblable d’une langue à l’autre.

Pourtant, à bien écouter, le Pinkerton italien reverra "sempre" ("toujours") le visage de celle qu’il quitte. Le Pinkerton français, lui, la verra "partout". L’un a l’imagination temporelle, l’autre spatiale. Et déjà, des nuances s’esquissent…

Le premier part en lâche: "ah son vil" ("ah je suis méchant"). Le second a "le cœur meurtri", et il part "pour jamais", comme la Bérénice de Racine. Comme elle, d’ailleurs, un instant, il hésite.

Quelques rimes seulement, et voilà que paraît cette Butterfly parallèle, ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre. C’est d’une poésie folle et ça donne le tournis. Balzac nous avait prévenus: boulevard des Italiens, on est pris de vertige.

Toute capitale a son poëme où elle s'exprime, où elle se résume, où elle est plus particulièrement elle-même. [...] De tous ces cœurs de cités, nul n'est comparable aux boulevards de Paris. [...] là est la liberté de l'intelligence, là est la vie ! [...] Le boulevard, qui ne se ressemble jamais à lui-même, ressent toutes les secousses de Paris: il a ses heures de mélancolie et ses heures de gaieté, ses heures désertes et ses heures tumultueuses, ses heures chastes et ses heures honteuses.

Honoré de Balzac, "Histoire et physiologie des boulevards de Paris" (1845)

"Boulevard des Italiens", le disque de Benjamin Bernheim, est fidèle à ce projet balzacien. Contrasté et théâtral, c’est un objet musical avant tout, mais langagier tout autant, et littéraire même en filigrane. Et c’est un réel bonheur d’entendre du français chanté comme ça.

Marie Favre/sb

Benjamin Bernheim, "Boulevard des Italiens" (Deutsche Grammophon).

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