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Au coeur des secrets de fabrication de la Messe en si de J.-S. Bach

Le compositeur Jean-Sébastien Bach. [Leemage via AFP - Elias Gottleib Haussmann]
La genèse de la Messe en si / L'Oreille d'abord / 86 min. / le 15 septembre 2021
La Messe en si de Jean-Sébastien Bach constitue l’expression ultime et parfaite d’une forme architecturale rêvée, imaginée et enfin réalisée. C’est une messe abstraite, purement spirituelle, pensée comme le couronnement d’une vie dédiée à la musique sacrée.

La Messe en si mineur occupe une place à part dans l’œuvre de Jean-Sébastien Bach. Sa durée d’environ une heure quarante est exceptionnelle pour l’époque. Elle représente la synthèse de tout ce que le cantor de Leipzig a pu apporter à la musique sur le plan stylistique et technique. Mais c’est aussi, et surtout, la plus fantastique rencontre spirituelle entre le monde de la glorification catholique et le culte de la croix luthérienne. "Opus ultimum" de Bach, elle consacre donc toute une vie.

Bach n’a pas composé sa Messe en si en tant que telle, mais il a assemblé et réuni dans une même œuvre des pièces écrites à différents moments de sa carrière, un procédé plutôt fréquent à l'époque. La gestation de cette messe s’étend sur plus de vingt-cinq ans. Elle a été entamée en 1733 à des fins diplomatiques et fut complétée dans les toutes dernières années de la carrière du compositeur vers 1748/49. Bach y travaillait encore lorsque sa vue, qui s’est progressivement altérée, s’obscurcit complètement. La Messe en si s’impose ainsi comme une œuvre de synthèse.

L’histoire de la Messe en si débute le 27 juillet 1733, lorsque Bach envoie à la cour de Dresde 21 parties séparées qui forment le corps de sa Missa. Une dédicace les accompagne: "A son Altesse Royale et son altesse sérénissime le Prince électeur de Saxe."

Une messe diplomatique

Cette année-là, Friedrich August II, le nouvel électeur de Saxe, vient d’accéder au trône de Pologne sous le nom d’Auguste III. Bach s’offre de fêter l’événement avec les deux mouvements qui composent alors cette future Messe en si. Un "Kyrie" conçu comme un hommage à son père défunt et un "Gloria" qui célèbre son successeur, qui n’était autre que son fils. Il devait s’avérer que ces deux souverains étaient l’un et l’autre de grands défenseurs des arts.

L’envoi des deux premiers mouvements de la Messe en si n’est pas vraiment désintéressé: il est diplomatique. En se proposant de célébrer l’accession au pouvoir de l’Electeur de Saxe, Bach espère avec sa messe obtenir une nomination à la Chapelle Ducale. La partition est envoyée au nouveau souverain fin juillet avec les parties séparées que plusieurs membres de la famille Bach ont copiées en toute hâte.

Le manuscrit est accompagné d’une requête selon laquelle le cantor se plaint des affronts subis à Leipzig, espérant renforcer sa position par l’obtention d’un poste de compositeur de la cour, un poste purement honorifique qui ne comportait aucune obligation. Son voeu sera exaucé, trois ans plus tard.

Le "Sanctus" composé en premier

En 1724, soit bien avant la composition du "Kyrie" et du "Gloria", Bach compose un "Sanctus". Il s’agit d’une pièce autonome que le compositeur fait jouer à plusieurs reprises durant sa carrière. Le "Sanctus" s’articule un peu comme un prélude et fugue. Le prélude débute par une triple affirmation de la sainteté du seigneur. L’ensemble s’écoule comme une procession joyeuse. Vient ensuite la fugue proprement dite, qui démarre sur le texte "Pleni sunt coeli" qui apporte une certaine jubilation.

Il faut attendre 1748 pour que Bach reprenne le projet de sa messe. Il imagine alors un plan en cinq parties qui obéissent à la structure habituelle de la liturgie catholique. En revanche, chaque morceau pris indépendamment relève de l’Eglise évangélique, tandis que la structure renvoie à la Trinité divine, au centre de la théologie luthérienne. Bach avait conscience que le Prince Electeur, en tant que souverain de Dresde, était luthérien. Mais en tant que roi de Pologne, il embrassait la religion catholique. La Messe en si n’est donc peut-être que le reflet de cette ambivalence et est souvent saluée comme une œuvre œcuménique.

Le "Credo" au coeur

Le cœur de la Messe en si se trouve dans les trois mouvements "Et incarnatus est", "Crucifixus" et "Et resurrexit". L'"incarnatus" fait partie des dernières pièces écrites par Bach. Quant au "Crucifixus", il compte parmi les pièces les plus anciennes de la messe. Il s’agit d’une chaconne avec laquelle le compositeur souligne le caractère expressif du récit par un figuralisme musical. La basse répète inexorablement la même descente chromatique pour traduire la désolation de la crucifixion et la lente progression vers la mort.

Dans la Messe en si, les chœurs occupent une place prépondérante. L'orchestre intervient souvent dans son ensemble, mais Bach fait aussi appel à des instruments solistes. Le compositeur s'efforce ici de réaliser une synthèse entre le style italien mélodique et le style traditionnel allemand plus strict et contrapuntique.

La Messe s'impose ainsi comme une oeuvre de synthèse qui réunit des styles variés, récapitule les époques qui l’ont précédée tout en tendant vers l’avenir. Elle réunit contrepoint sévère et couleurs du madrigal, Allemagne et Italie, ombres et lumières. Le tout, dans un ensemble parfaitement sublime.

La messe n’a jamais été exécutée dans son intégralité du vivant de l’auteur. Le premier concert public qui la fit entendre semble remonter à 1859. Ce n’est qu’à partir des dernières décennies du 19e siècle que de nombreuses sociétés chorales la mettent à leur répertoire. Aucune autre messe, aucun requiem n’a pu atteindre d’aussi hautes cimes. La Messe en si constitue l’expression ultime et parfaite d’une forme architecturale rêvée.

Catherine Buser/mh

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