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Les complaintes lumineuses entre ciel et terre de Piers Faccini

Le chanteur anglais Piers Faccini le 11 décembre 2019 à Paris. [AFP - Martin BUREAU]
Le magazine musical dʹEspace 2 / L'Echo des Pavanes / 56 min. / le 6 juin 2021
Dans son dernier album, "Shapes of the Fall", Piers Faccini chante la catastrophe environnementale traversée par des transes gnawa et des lamentations folk-blues. Avec autant de notes d’espoir que les écosystèmes qui nous entourent.

"Attendez, une seconde, je vais ouvrir la fenêtre et peut-être qu’on entendra les oiseaux!" A travers l’écran de son ordinateur, Piers Faccini, dans le studio de sa maison des Cévennes, partage avec nous l’environnement sonore de cette soirée ensoleillée.

Des oiseaux, notre discussion glisse sur les espaces entre ciel et terre, théâtres d’un envol ou d’une chute. La chute, c’est le thème de "Shapes of the Fall" ("Les formes de la chute"), le dernier album de Piers Faccini. Sur la couverture du disque, la lithographie qu’il a réalisée dévoile une silhouette entre ciel et terre tournoyant sur elle-même dans un mouvement illustrant aussi bien une chute qu’un envol. Dans ses chansons, le poète-collapsologue s’interroge sur le futur de la planète et de l’humanité. Va-t-on s’envoler ou tomber? "Quelle est notre appartenance, notre relation à la nature et quels sont les droits de la nature par rapport à ce qu'on lui fait? À long terme, la vie trouvera probablement d’autres formes, mais certaines choses, peut-être, disparaîtront pour toujours."

La lumière au bout du chemin

A cette thématique sombre, Piers Faccini apporte dans "Shapes of the Fall" une proposition lumineuse. En écoutant sa voix solaire s’épanouir aux côtés de ses compagnons, dont Ben Harper, Abdelkebir Merchane et les frères Malik et Karim Ziad, on se rappelle à quel point le blues, la folk, les musiques d’Italie du Sud, du Maghreb et d’Afrique de l’Ouest comptent pour cet artiste italo-britannique aux origines ashkénazes, irlandaises et tziganes. S’il aime croiser les traditions musicales en glissant souvent d’une langue à une autre, sur "Shapes of the Fall" il a choisi de chanter en anglais, sa langue maternelle, mais un anglais "célébré avec des modes et des rythmes méditerranéens".

Pour évoquer sa démarche autour de "Shapes of the Fall", Piers Faccini a réalisé une web série de cinq épisodes, "Songs of earth and sky".

Naissance d’une chanson

Au-delà des mélodies envoûtantes qui captent l’oreille dès les premières notes, on est frappé par le naturel des chansons qui se posent sur nous tel un oiseau sur une branche. En racontant la naissance de ses compositions, Piers Faccini dit être "visité par des mots, une mélodie, et enfin par la chanson qui est le mariage et la danse entre mots et musique".

On s’attarde sur la première chanson de l’album qui dit l’épuisement des ressources de la planète. Sur un rythme irrégulier scandé par le claquement des doigts se pose la première phrase qui donne le titre à la chanson, "They Will Gather No Seed" ("Ils ne récolteront aucune graine"). "Cette chanson, c’est à la fois une célébration de la nature et de la biodiversité, mais c’est aussi une forme de complainte, évoquant la peur que peut-être un jour les rossignols ne feront plus de migrations de l'Afrique de l'Est jusqu'en Europe, parce qu'il y en aura plus."

Transes et complaintes

Au fil des treize chansons de "Shapes of the Fall", on passe devant un paradis qui brûle, des cieux qui pleurent et une corne de brume qui avertit l’humanité d’un danger imminent.

En contrepoint aux thématiques de la chute et l’élévation, Piers Faccini explore deux formes musicales qu’on retrouve aux quatre coins du monde: la complainte, qui fait pleurer et la transe, qui fait danser. Associées à de nombreux rituels de guérison, les transes de "Shapes of the Fall" prennent leur sources dans différentes traditions autour de la Méditerranée, parmi lesquelles celles des communautés nord-africaines Gnawa, dont l’instrument emblématique, le guembri, résonne face à la corne de brume dans "Foghorn Calling".

La guérison, la lumière comme contrepoids à l’effondrement? Entre ciel et terre, "Shapes of the Fall" offre autant de notes d’espoir que les écosystèmes qui nous entourent. Il n’y a plus qu’à tendre l’oreille pour semer des graines…

Anya Leveillé/mh

Piers Faccini, "Shapes of the Fall" (No Format).

En concert au Montreux Jazz Festival, Petit Théâtre, le 15 juillet.

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