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Robert Johnson, le bluesman qui a croisé le Diable

Le guitariste et chanteur Robert Johnson en 1935 à Memphis, Tennessee. [Keystone]
Robert Johnson, bluesman sous le signe du Diable / L'Echo des Pavanes / 19 min. / le 15 janvier 2021
C’est un mythe. A lui seul, Robert Johnson incarne toutes les légendes du blues. L’artiste et sa musique font l’objet de deux livres aussi passionnants que des polars.

En plein blues du semi-confinement, deux livres remontent à la source du mot. Quelque part dans les champs de coton des plantations du Mississippi à l’ombre des digues du célèbre fleuve. Les éditions Allia traduisent une somme américaine: "Deep Blues" de Robert Palmer. Cet ouvrage date de 1982 pour sa version originale. Il reste une bible pour comprendre l’histoire du blues et son contexte culturel, politique, socio-économique.

Parallèlement, l’éditeur Castor Astral nous livre la biographie la plus fouillée du guitariste et chanteur Robert Johnson. Elle est signée Bruce Conforth et Gayle Dean Wardlow, deux fondus de note bleue. Son titre: "Et le diable a surgi, la vraie vie de Robert Johnson".

Citer Johnson, c’est aborder la légende: son pacte avec le Diable

Tout se serait produit à un carrefour, pas loin du Lac Fish et de Polk Place, en pleine cambrousse. L’heure? Minuit bien sûr. Le mythe du guitariste qui vend son âme au Diable pour devenir virtuose de la six cordes est d’abord et avant tout une chanson.

Composé par Robert Johnson lui-même, "Cross Road Blues" est enregistré en novembre 1936 dans la chambre 414 de l’Hôtel Gunter à San Antonio, Texas. Une autre rumeur affirme qu’il se tournait alors contre le mur pour jouer, afin que personne ne puisse comprendre sa manière de jouer.

Du moonshine empoisonné

Une légende, qui plus est diabolique, c’est toujours utile: elle fascine le public, fait grandir la réputation et protège parfois des mauvais coups. Pas assez cependant. Dès la fin des années 20, musicien itinérant, vagabond avec sa seule guitare acoustique, le jeune Robert court les plantations et les bleds à travers le Delta du Mississippi et le proche Arkansas. Il saute d’un train de marchandises à un pont arrière de camion, joue au chapeau, dans des fêtes improvisées, dans la rue, dans des tripots de campagne. On y danse, joue aux cartes, boit du moonshine, le whisky de contrebande. On y trouve des amours d’une nuit. Ces lieux sont dangereux. C’est là que la très brève carrière de Robert Johnson s’arrête. Empoisonné en août 1938 à l’âge de 27 ans par un mari jaloux.

La légende, une de plus, parle de strychnine. En fait Johnson était déjà tellement rongé par l’abus d’alcool et l’absence de soins médicaux, qu’une simple potion à base de naphtaline l’a envoyé ad patres alors que le but du jaloux était juste de le rendre malade quelques jours pour le punir d’avoir dragué sa régulière. Mais revenons au Diable, imaginez-vous en rase campagne, en pleine nuit, dans un lieu sans aucun éclairage.

Le guitariste et chanteur Robert Johnson au début des années 1930. [Keystone - STR]

Noir… et seul dans le noir

Il y a de quoi avoir les chocottes. On guette le moindre son, le moindre bruissement du vent, le cri d’un animal. Dans le Mississippi des années 30, si vous êtes Noir, vous pouvez vous faire lyncher ou flinguer par une bande de Blancs passant là par hasard… En plus, la communauté afro-américaine a hérité de toutes les croyances liées au vaudou, notamment celle du Baron Samedi, qui peut vous attraper au milieu de la nuit. Et dans cette population aussi pieuse qu’elle peut être pécheresse, le blues, c’est de toute manière la musique du Diable, l’expression même du péché. Le chemin vers la débauche. Contrairement au gospel des paroisses évangéliques.

Dans le Mississippi, ce traîne-savates de Robert Johnson est alors aussi adulé que méprisé. Et quand on est un Noir qui marche encore après le crépuscule, il faut savoir garder son sang-froid.

Des esprits autour de son lit

La légende du contrat diabolique viendrait d’un bluesman plus âgé, Peetie Wheatstraw, qui se vantait d’avoir passé le fameux pacte. Dans le blues, la thématique du rapport avec le Malin revient plus d’une fois. En 1924, Clara Smith chantait ainsi "Done Sold my soul to the Devil" et en 1929, Bessie Smith, grande légende du blues, décrivait les esprits qu’elle voyait autour de son lit dans "Blue Spirit Blues".

La légende vient aussi du fait qu’un jour Robert Johnson, guitariste débutant, disparaît, pour mieux revenir quelques mois plus tard en musicien virtuose… les exagérations et autres vantardises de ses contemporains ont contribué au mythe du musicien maudit.

En fait, cet homme disparaissait en permanence. Toujours en route, donc toujours absent. Robert Johnson a quitté son comté pour suivre les conseils d’un bluesman plus expérimenté, Ike Zimmerman… Ces musiciens itinérants jouaient toute la sacrée journée et une partie de la nuit. Leur survie économique dépendait de leur talent. Robert Johnson a d’abord copié ses pairs (Son House, Charley Patton, Lonnie Johnson, Blind Blake…), chipé ses textes de-ci de-là, interprété les succès du moment (y compris les succès des Blancs) pour finalement trouver son style et sa technique. Un style unique, fulgurant, que les rockers blancs découvrent bien après sa mort lors de la parution du premier 33 tours consacré à son répertoire, en 1961. Les premiers fans se nomment Rolling Stones, John Mayall, Eric Clapton et la suite relève d’une autre légende.

Thierry Sartoretti/mh

A lire:

Bruce Conforth et Gayle Dean Wardlow, "Et le diable a surgi, la vraie vie de Robert Johnson", Castor Astral
Robert Palmer, "Deep Blues", éditions Allia
Annye C. Anderson (demi-sœur du célèbre bluesman), "Brother Robert". En anglais chez Hachette Books

A voir:

"Ma Rainey’s Black Bottom", de George C. Wolfe, un film sur la vie de l’une des premières chanteuses de blues. Sur Netflix.

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