Publié

Avec "A l'aube revenant", Cabrel se fait troubadour de son temps

Le chanteur Francis Cabrel. [Sony Music - Claude Gassian]
Le chanteur Francis Cabrel. - [Sony Music - Claude Gassian]
Le chanteur français Francis Cabrel publie "A l'aube revenant", quatorzième album où il se livre sur son époque, la planète maltraitée, l'amour ou les mots qu'il n'a su dire à son défunt père. A 66 ans, il reste ce troubadour folk de son temps.

Père tranquille de la chanson française, exégète de Dylan et épris de poésie, Francis Cabrel s'en revient à ses rimes à un rythme de croisière régulier depuis 1984 avec "Photos de voyage". Cinq ans après "In Extremis", le laps de temps qu'il faut en général au barde d'Astaffort pour régénérer l'encre de son classicisme perlé, voilà donc "A l'aube revenant".

Sur ce quatorzième album, le D'Artagnan à la plume ciselée et auteur des indémodables "Petite Marie", "C'est écrit" ou "La dame de Haute-Savoie" a conservé son habituelle douceur folk-pop pour dire le malheur, en l'occurrence les malheurs d'une planète maltraitée, et quelques bonheurs et amours éperdus.

Amours et bonheurs

Parmi les quatorze nouveaux titres, "Les bougies fondues" évoquent ainsi mélancoliquement la crise et le terrorisme, des temps troubles qui désespèrent le chanteur qu'il était "dans les bals de village", rêvant plutôt de poésie dans ce monde de soubresauts et désespoirs. Cabrel interroge aussi habilement nos consciences écologiques ("Jusqu'aux pôles") ou s'émeut de la raréfaction des librairies ("C'est difficile à croire") et des solitudes et de l'individualisme à l'ère virtuelle. Rien de l'acabit des thématiques sociales et politiques plus abrasives et frontales abordées dans ses œuvres de tolérance datant du milieu des années 1980 comme "Saïd et Mohammed", "L'enfant qui dort", "Leila et les chasseurs" ou "Corrida" mais d'excellentes et nobles chansons tout de même.

A ces préoccupations de terrien, le natif du Lot-et-Garonne adjoint évidemment son lot de chansons d'amour et d'évocations du bonheur qui lui sont chers: "Les beaux moments sont trop courts", "A l'aube revenant", "Ode à l'amour courtois" et "Fort Alamour". Avec sa sobre élégance habituelle, entre guitares et batteries légères et quelques choeurs, il s'amuse aussi en riant sous cape et sans moustache au fil de "Chanson pour Jacques" avec un clin d'oeil à Dutronc ou "J'écoute Sweet Baby James", adaptation de James Taylor.

Hommage au père disparu

Cabrel fait aussi mouche piano-voix sur "Te ressembler" où il s'adresse à son défunt père "T’as jamais eu mon âge/T’as travaillé trop dur pour ça", qui rappelle la gravité musicale en moins le ton de sa chanson "Mademoiselle l'aventure", évocation de la mère inconnue de sa fille adoptive.

Pour résumer les préceptes de ses versifications inédites, Francis Cabrel paie enfin son tribut aux troubadours dont la geste l'inspire par le biais du délicieux "Rockstars du Moyen-Âge". Il y chante "Y'a pas de langues anciennes/ C'est la même toujours/ Pour dire les mêmes peines/ Jurer les mêmes amours". Une chanson qui a déclenché ce nouvel album et entre en résonance avec "Peuple des fontaines" où celui qui ne cesse de faire de la banalité des jours son beau jardin d'expression salue les figures toujours inspiratrices de Rimbaud, Verlaine, Barbara et Leonard Cohen.

Toujours plus attaché aux embruns de la nostalgie, aux certitudes existentielles et aux mystères de l'amour qu'aux remous de l'actualité malgré de furtives apparitions, Cabrel est donc encore parvenu à tisser une suite de chansons-refuge où il fait bon s'abriter. Mais à "A l'aube revenant" cette fois.

Olivier Horner

Francis Cabrel, "A l'aube revenant" (Chandelle Productions/Sony Music).

Publié