Publié

Victoria Harmandjieva passe du piano acoustique au clavier électronique

La pianiste Victoria Harmandjieva. [DR - Dominique Derisbourg]
Victoria Harmandjieva, "Concert chez vous, à pas plus de 5" / Vertigo / 53 min. / le 13 juillet 2020
En résonnance avec la crise mondiale, la pianiste d'origine bulgare Victoria Harmandjieva a lancé "Concert chez vous, à pas plus de 5". Un projet pour abattre les frontières et se rapprocher du public.

Elle est lumineuse, solaire, entreprenante. Et pourtant, Victoria Harmandjieva, pianiste virtuose domiciliée à Vevey, a d'abord ressenti le confinement comme un traumatisme, une réminiscence de ce qu'elle avait déjà vécu dans son pays d'origine, la Bulgarie, où tout était bloqué, fermé, paralysé. Mais comme on ne se baigne jamais deux fois dans la même eau, elle s'est dit que cette fois-ci, ce ne serait pas pareil.

Descendre de son piédestal

Elle aurait pu, comme d'autres de ses collègues, se produire en ligne, mais elle a refusé. "J'avais l'impression d'être dans une proximité illusoire, chacun restant chez soi", dit-elle. Alors, profitant des consignes du Conseil fédéral autorisant les petits rassemblements, elle a lancé en mars sur les réseaux sociaux l'idée de "Concert chez vous, à pas plus de 5".

Elle a aussi troqué son piano acoustique contre un clavier électronique - celui de son fils - plus facile à transporter. "Mon désir d'abattre les frontières et de me rapprocher du public était plus fort que tout. Certains m'ont reproché de brader mon statut de concertiste, de descendre de mon piédestal, mais le talent d'un artiste se transmet au-delà de son instrument".

Musique et chocolat

A début, Victoria Harmandjieva était aussi impressionnée que ses hôtes par ce dispositif de grande intimité. Elle craignait de ne pas pouvoir se permettre autant de fantaisie qu'avec un piano classique. "Alors j'y est mis encore plus de coeur", dit-elle au micro de la RTS. Le plus souvent, on lui demandait de jouer des morceaux plutôt gais, jazzy, et beaucoup de Gerschwin.

La pianiste Victoria Harmandjieva enregistre seule à la Salle Ansermet le 19 mai 2020 dans le cadre du projet Tribune Libre. [RTS - Philippe Christin]RTS - Philippe Christin
"Tribune libre", enregistrée le 19 mai 2020 au Studio Ansermet de Genève / Concert nomade / 116 min. / le 12 juillet 2020

Elle garde un souvenir lumineux de ces rencontres chez les gens, souvent suivies de discussions passionnées et de repas généreux, un mélange qui l'enchante comme tous les mélanges. Avec sa compagnie AlterEgo, elle a d'ailleurs monté plusieurs projets pluridisciplinaires, dont "The Age of Anxiety", une oeuvre musicale, théâtrale et visuelle, à partir du poème éponyme de W. H. Auden et de la symphonie no°2 de Léonard Bernstein.

Et elle a su également flatter oreilles et palais de son public avec un spectacle musico-gastronomique, "Eloge de l'amertume", une saveur que les enfants n'apprécient pas et qui s'acquiert à l'âge adulte. Elle y interrogeait la capacité d'écrire et de composer après le désastre de la dictature avec, comme guides musicaux, d'autres exilés comme elle: Prokofiev, Ligeti, Bartók. Et pour adoucir le propos, tout en conservant le goût du titre, elle a fait appel au talent du chocolatier Olivier Fuchs qui a pu décliner les différences nuances de l'amertume à travers ses gâteaux et ses glaces.

Actuellement, elle monte un projet avec l'artiste et designer Michael Cailloux tout en continuant ses concerts à domicile pour un public un peu plus fourni mais ne dépassant pas les vingt personnes. "La musique est un luxe abordable; elle doit appartenir à tout le monde".

De la nuit à la lumière

Ce désir de rencontres est ancrée dans le parcours de Victoria Harmandjieva, née en 1971 à Sofia, dans une Bulgarie asphyxiée par le régime autocratique de Todor Jivkov. Elle quitte la capitale après la chute du mur de Berlin et s'envole pour le Conservatoire de Paris. En France, elle éprouve un sentiment de liberté extraordinaire mais aussi le poids de l'exil, avec tous les efforts pour s'intégrer. "Il faut passer par la nuit pour parvenir à la lumière", dit celle qui a beaucoup joué la musique classique contemporaine "parce qu'on y rencontre des musiciens vivants".

Propos recueillis par Francesco Biamonte.

Adaptation web: Marie-Claude Martin

Publié