Au-delà d’Idir, la chanson kabyle vit

Grand Format

AFP - Billal Bensalem

Introduction

Il était le plus célèbre des artistes kabyles. Le chanteur Idir est décédé à Paris le 2 mai dernier à l’âge de 73 ans. Le poète berbère a reçu de vibrants hommages de toute la chanson française, de Manu Chao à Maxime Le Forestier en passant par Patrick Bruel. Méconnue, la chanson kabyle n’a pas disparu avec son plus grand ambassadeur.

Chapitre 1
Deux héros déjà décédés

Keystone

Une chanson dont les deux héros les plus médiatisés ne sont plus. Avant Idir, il y eu eu Lounes Matoub, assassiné à la fin des années 1990.

Pour le reste, vu de Suisse, on connaît mal cet univers qui ne se limite, de loin pas, au style très doux et folk d’Idir. Certains se rappelleront peut-être du trio féminin Djurjura, mais leur succès remonte aux lointaines années 1980.

La musique kabyle est pourtant largement popularisée en France. Même si, en dehors des communautés d’origine maghrébine, elle est souvent considérée comme de la musique arabe ou simplement orientale. Il y a une raison historique et économique à cette importance.

Depuis le 19e siècle, le peuple kabyle, issu d’une région montagneuse, rurale et pauvre, a longtemps fourni la majorité des bataillons de migrants venus travailler dans la métropole française. De fait, l’histoire de la chanson kabyle se confond avec l’histoire de la migration algérienne de l’autre côté de la Méditerranée et cela bien au-delà de l’indépendance algérienne en 1962.

Gravure dans "Le Monde illustré" de 1857 montrant la conquête de l'Algérie: expédition en grande Kabylie en 1857. Soumission de la tribu Kabyle de Beni-Raten par l'armée française. [AFP]

Nombreuses sont les chansons à évoquer, en berbère, en arabe, en francarabe, parfois dans les trois langues à la fois, la douloureuse question de l’éloignement, du racisme ou de la solitude de ces ouvriers qui avaient laissé leur famille et leur jeunesse au pays.

Chapitre 2
Le combat du peuple kabyle

AFP - Samir Maouche

Chanson kabyle: ce terme embrasse des genres qui peuvent aller de la musique traditionnelle au rock à guitares électriques, d’une Cherifa à une Souad Massi en passant par Slimane Azem et même Rachid Taha.

La chanson kabyle a également accompagné le combat de ce peuple pour ses droits à une reconnaissance culturelle officielle. Elle est arrivée, tardivement, le kabyle étant inscrit dans la constitution algérienne en 2002, puis reconnu langue officielle en 2016. Toutefois, cette culture ne bénéficie toujours pas d’un réel soutien étatique à son développement, que cela soit dans les écoles ou dans les médias. On estime qu’en Grande Kabylie, 3,5 millions de personnes parlent berbère alors qu’il y en aurait encore 6 millions réparties principalement entre la capitale Alger et la France.

A Lyon, la station FM indépendante Radio Pluriel compte la plus ancienne émission radiophonique française consacrée à la culture kabyle en général et aux musiques kabyles en particulier. Chaque dimanche, on découvre au micro de Kamel Benmouhoub des musiques qui vont du répertoire le plus traditionnel à des brûlots électrisés contre le pouvoir actuel algérien.

Chapitre 3
Désintérêt des médias

AFP - ATTILA KISBENEDEK

La chanson kabyle peine à se faire entendre en dehors de sa communauté et au-delà du succès du chanteur Idir. La faute à plusieurs facteurs: un certain désintérêt des grands médias français pour les cultures minoritaires, la crise du disque qui rend moins visibles les productions reléguées sur le net au seul public affinitaire et bien sûr les triomphes successifs du raï et du rap comme musiques populaires auprès les jeunes générations issues de la migration. Il n’est pas trop tard pour la découvrir. Et rendre ainsi hommage à Idir.

>> A écouter, Kamel Benmouhoub, animateur de la plus ancienne émission kabyle en France ("Kabylie en fête" sur Radio Pluriel) raconte le b-a-ba de cette musique berbère dans "L'Echo des Pavanes" :

Le chanteur kabyle algérien Idir le 25 mai 2011 à Rabat, au Maroc. [AFP - ABDELHAK SENNA]AFP - ABDELHAK SENNA
L'Echo des Pavanes - Publié le 28 mai 2020

Chapitre 4
Douze figures de la musique kabyle

AFP - Madeleine PRADEL

Cherifa

Née Ouardia Bouchemlal, c’est une pionnière et l’une des grandes figures de la chanson berbère classique. Ses premiers enregistrements remontent aux années 1940. Cherifa aura mené vie et carrière en Algérie.

Slimane Azem

Ouvrier immigré, déporté par les Allemands, patron de bar, chanteur favorable à l’Indépendance (sa chanson "Sauterelles quittez mon pays") et finalement patron de bistrot. Un des chantres de la communauté algérienne en France dans les années 1960 et 1970 avec Mazouni et Dhamane El Harrachi.

Akli Yahyaten

Immigré en France dans les années 1950, ouvrier chez Citroën et maintes fois arrêté par la police pour ses liens supposés avec le Front de Libération National (FLN) algérien. Son style, c’est le chaabi, la musique populaire. Et son tube "Yal Menfi", alias "Le banni". Culte.

Idir

Il apporta le folk dans la chanson kabyle, troquant le mandole pour la guitare. Une figure tutélaire pour la reconnaissance de la langue berbère. En 1976, son premier 45 tours "A Vava Inouva" accomplit ce double exploit: première chanson en kabyle au sommet du hit-parade algérien et tube planétaire.

Les Abranis

Avec "Chenar le blues", ils ont apporté le rock dans la musique du Maghreb. Des pionniers dont la musique préfigure les groupes à guitares du désert et dont les enfants occupent encore la scène aujourd’hui.

Lounis Aït Menguellet

Un sage, un poète, de la même génération que son ami Idir. Toujours actif à plus de 70 ans, chantre indéfectible et subtil de la langue kabyle avec des instrumentations principalement acoustiques.

Djurdjura

Un nom inspiré des montagnes de la Grande Kabylie et la volonté d’ouvrir des portes musicales, de porter le flambeau d’une culture autant que la dignité des femmes. Ce trio a accompagné l’émergence de la world music à la fin des années 1980.

Lounes Matoub

Un rebelle qui ne s’en laissait pas compter. Tout entier dans son combat pour la reconnaissance de l’identité kabyle dans une Algérie déchirée par la guerre civile. Grièvement blessé par la gendarmerie, enlevé par un commando islamiste et finalement assassiné on ne sait par qui, il reste un symbole vingt-deux ans après sa disparition.

Rachid Taha

Feu le chanteur du groupe lyonnais Carte de Séjour était kabyle autant que rockeur. En deux albums ("Diwan" et "Diwan2") et au fil d’une discographie remplie de clin d’œil musicaux, il a rendu hommage à la chanson de sa jeunesse, hymnes de migrants venu du bled ou splendeurs du cinéma égyptien.

Amirouche

L’Algérie vit à l’heure du Hirak, ce mouvement populaire en faveur d’un véritable changement démocratique alors que le pouvoir reste dans les mains d’une caste de généraux. En Kabylie, on rêve d’auto-détermination et d’une reconnaissance culturelle qui aille au-delà des discours officiels et de la langue de bois. Amirouche est à la pointe de ce combat.

Souad Massi

Son répertoire va bien au-delà de la chanson kabyle et ses modèles sont à chercher plutôt du côté de Joan Baez ou de la chanson folk francophone. Souad Massi n’en est pas moins l’une des formidables voix de la musique algérienne, que cela soit chanté en kabyle ou en arabe.

AmZik

Un trio vocal et fraternel qui allie traditions et finesse dans le sillage d’Idir. Un groupe d’aujourd’hui parmi les jeunes interprètes de la chanson kabyle.