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Comment la musique chante-t-elle les catastrophes et autres désastres?

Lundi 15 avril: Notre-Dame de Paris en flammes. [AP/Keystone - Michel Euler]
Lundi 15 avril: Notre-Dame de Paris en flammes. - [AP/Keystone - Michel Euler]
Cyclones, tempêtes, famines, sécheresses, fléaux en tous genres et bien sûr incendies... la chanson a probablement tout abordé. Playlist de choix des catastrophes en musique.

Quand un désastre frappe une communauté, elle se l'approprie et s'en fait immédiatement l'écho. La musique pour dénoncer. Mais aussi pour aider à surmonter un deuil et même, plus tard, pour dédramatiser voire en rire.

Prenons les incendies par exemple: d'innombrables titres traitent du sujet. Le 21 avril 1930, aux Etats-Unis, trois détenus mettent le feu à leur pénitencier dans l'Etat de l'Ohio, provoquant la mort de 322 personnes. Deux des trois incendiaires se suicident dans la foulée et trois jours après la tragédie, dans une vague d'émotion, Charlotte et Bob Miller écrivent et interprètent "Ohio Prison Fire" – véritable jeu de rôles où Charlotte interprète la mère de l'un des prisonniers décédés et Bob, l'un des gardiens.

Des styles musicaux différents

Dans un ton très différent il y a le calypso, venu tout droit de Trinité. Le genre musical est historique, une gazette populaire où toutes sortes d'événements – mondains, politiques ou sportifs, locaux ou internationaux – sont narrés. Au XIXe siècle, le calypso est chanté en créole; ce n'est qu'au début du XXe que l'anglais s'impose, devenant l'unique langue du genre.

Comme le blues, le calypso a une structure simple, tant du point de vue des vers que de ceux du rythme et de la mélodie. Tous les titres se ressemblent, au point qu'un non initié peut les trouver d'une monotonie décourageante. Mais si répétition il y a, c'est l'immédiateté qui donne tout son sel au registre.

Sa simplicité permet à ses auteurs et à ses interprètes de relater les faits de leur communauté dès qu'ils se sont produits, comme ce fut le cas après l'incendie qui dévasta le trésor de Trinité, le bâtiment du bureau de poste et de la banque de Port-d'Espagne, ainsi que de nombreux entrepôts de rhum en 1932.

A l'époque, pour les pauvres de l'île, perdre tant de ce précieux liquide fut bien plus tragique que voir des billets de banque partir en fumée. Juste après l'événement, le célèbre chanteur de calypso Lionel Belasco enregistra "The Treasury on Fire", se concentrant sur l'anéantissement de toutes ces réserves de rhum qui fit accourir la population, la moitié pour lutter contre les flammes, l'autre pour profiter des effluves d'alcool.

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Chanter le Titanic

Quand on ne chante pas les incendies, on chante les naufrages. De toutes les catastrophes portées en chanson, c'est indubitablement celle du Titanic qui a été la plus relayée au siècle dernier. Des dizaines, voire des centaines de titres lui ont été consacrés. Ce qui est intéressant, c'est la persistance avec laquelle auteurs et interprètes continuent encore et toujours de chanter ce drame.

"Down with the old canoe", composée en 1938 par les Dorsey Dixon Brothers, montre combien le besoin d'en parler et la disposition à se laisser emporter par l'émotion sont restés vifs, même un quart de siècle après la catastrophe.

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Au XIXe et au début du XXe siècle, la disparition d'un paquebot transatlantique est rarissime, alors que les accidents de train se succèdent. Durant cette période, la chanson américaine produit une série de titres narrant les accidents ferroviaires ayant émaillé le développement du réseau ferré américain et la conquête de l'Ouest.

Dans le train

Plusieurs chansons sont dédiées à Casey Jones, mécanicien tragiquement décédé au tournant du siècle, devenu un héros national après s'être sacrifié pour sauver la vie des passagers de son train: voyant un train à l'arrêt sur sa voie, le conducteur saute de sa locomotive en marche, tandis que Casey se jette sur le frein pour réduire la vitesse du convoi. Si les voyageurs sont sauvés, Casey y laisse sa peau.

D'autres chansons d'un accident bien plus grave – du moins pour les passagers de l'aéronef en question: le 4 avril 1933, le dirigeable Akron s'écrase au large du New Jersey, faisant 73 victimes. Le lendemain, pas même 24 heures après le crash et toujours sous le coup de l'émotion, Bob Miller écrit et enregistre "Crash of the Akron".

Ces inspirantes tragédies

Et la liste des tragédies ayant inspiré les artistes est loin d'être terminée. Nous nous limitons ici aux chansons américaines, avec une brève échappée à Trinidad, mais il est clair que chaque nation, chaque communauté et chaque époque s'est prêtée à l'exercice, transposant ses propres drames en musique.

Parlons des inondations, comme celles du Mississippi, entraînant tant de destructions et de morts. La plus tragique remonte à 1927, lorsqu'une rive s'effondre, semant la désolation. Kansas Joe et Memphis Minnie s'en emparent dans "When the levee breaks", un blues enregistré deux ans après les événements.

Là encore, comme pour le Titanic, le souvenir du drame a traversé les années dans la mémoire collective, toute une communauté ayant perdu qui des proches, qui des biens, par un coup du sort de la nature.

C'est ainsi que 50 ans plus tard, Randy Newman dédie son dernier album à l'Amérique profonde, revenant à sa manière sur la tragédie. Avec "Lousiana 1927", désormais un classique de la chanson américaine, il tire un parallèle avec les anciennes rivalités entre états du Nord et du Sud.

Pour lui, les habitants du Sud laissés à eux-mêmes par l'Union vont jusqu'à attribuer la célèbre inondation non pas aux nuages, mais au fait que ceux-ci viennent du Nord. En trois minutes, avec tact et sensibilité, il décrit tout un pan de l'histoire américaine. Le Sud pauvre, rural et fier, qui s’adresse au Nord, riche et industrialisé: "Il ne vous a pas suffi de nous réduire à la pauvreté... encore fallait-il nous infliger ce fléau. Louisiane, ils essaient de nous anéantir".

Un véritable joyau de la chanson confédérée.

Corrado Antonini(RSI)/mcc

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