Après un Femina spécial pour l’ensemble de son œuvre, Pierre Guyotat, 78 ans, vient de décrocher le prix Medicis pour "Idiotie", publié cet automne chez Grasset. Ce texte autobiographique raconte, à la fin des années 50, l’entrée de l’auteur dans l’âge adulte, entre 1958 et 1962.
Porté par une langue que Guyotat travaille comme un matériau, "Idiotie" est sans conteste un des grands livres de cette rentrée, et offre une nouvelle facette de l'autobiographie de l’auteur, plus de dix ans après l'incandescent "Coma", en 2006.
Incarcéré pendant la guerre d'Algérie
Guyotat se souvient de ses errances, de son sort de marginal quand il arrive à Paris à l’aube de ses vingt ans. Il se souvient aussi de ses obsessions sexuelles, qui portent son écriture depuis le début, de son besoin physique de liberté. Surtout, Guyotat se souvient de la guerre d’Algérie, ce morceau de l’Histoire de France que le pays a du mal, encore aujourd’hui, à regarder en face.
Appelé sous les drapeaux comme beaucoup de sa génération, ce jeune communiste s’est rebellé contre l'autorité militaire qui organisait les opérations de maintien de l’ordre. Et il a été incarcéré.
La guerre d’Algérie était déjà au centre de son premier roman, "Tombeau pour cinq cent mille soldats", publié en 1967, récit monstre de son expérience sous forme d'un poème épique. Trois ans plus tard, en 1970, son livre "Eden, Eden, Eden", jugé trop sulfureux par les autorités, avait été censuré. Sa mise à l’index n’a été levée qu’en 1981.
Relation hallucinée au langage
Son sens de la transgression est en effet l’élément fondamental du travail de Pierre Guyotat. Dans "Idiotie", on retrouve sa relation hallucinée au langage pour dire le corps, la sexualité, les secrétions, la jouissance mais aussi les cauchemars et la violence. Le livre est un voyage, non pas dans son passé, mais dans les sensations que ce passé a créées. Restent moins des images que des fulgurances, souvenirs d’étreintes ou de peur, qui sont, selon Guyotat, la matière même de son écriture. Ainsi résume-t-il son expérience de la guerre:
De semence, c’est comme si je n’en avais plus, ne pouvant, depuis plus de deux ans, la faire sortir de moi par du texte.
Sylve Tanette/mcm
Autres lauréats du Médicis
Le Médicis étranger est allé au "Mars Club", de Rachel Kushner (Stock), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Sylvie Schneiter, une fiction ultra réaliste qui nous plonge dans une prison pour femmes en Californie.
Le Médicis essai a été attribué à Stefano Massini pour "Les frères Lehman" (Globe), traduit de l’italien par Nathalie Bauer, passionnante épopée qui raconte la naissance, l’apogée et la chute de la banque Lehman Brothers, qui a fait faillite dans la crise de 2008.
Le Suisse Peter Stamm, en lice dans la catégorie des romans étrangers avec "La douce indifférence du monde", n'a rien reçu.
S.T