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Etienne Barilier plonge ses lecteurs dans le Soudan du 19e siècle

Portrait de l'écrivain et essayiste romand Etienne Barilier en 1998. [Keystone - Gilbert Vogt]
Etienne Barilier, Dans Khartoum assiégée / Caractères / 59 min. / le 21 octobre 2018
"Dans Khartoum assiégée", son épais roman aux accents philosophiques, le romancier et essayiste vaudois Etienne Barilier rappelle que l'intégrisme musulman ne date pas d'hier.

C’est un livre au titre programmatique. En janvier 1885, après plusieurs mois de siège, la ville de Khartoum située au Soudan tombait aux mains d’une armée de fous de dieu conduits par un chef de guerre musulman nommé le Mahdi. Aux côtés d’une population pauvre et affamée, seuls quelques Européens étaient demeurés dans la ville. A leur tête, le général anglais Charles Gordon, tiraillé entre aspirations humanistes et loyauté militaire.

Une fascination pour le personnage de Gordon

Etienne Barilier l’affirme d’emblée, à l’origine de ce récit il y a la fascination que lui a inspiré le personnage historique de Gordon, valeureux militaire envoyé par Sa Gracieuse Majesté pour contenir les assaillants. "Ce personnage m’a fasciné, confie l’auteur, car il a dû confronter son idéal de paix et de douceur à la dure réalité militaire d’un siège, obligé qu’il fut de tuer par devoir. C’est un homme aux prises avec une formidable contradiction".

Gordon vivait une contradiction, et c’est sans doute parce qu’il mettait toute son énergie à la surmonter, ou plutôt à la supporter sans même en avoir pleine conscience, qu’il passait souvent pour dérangé, voire carrément cinglé.

Etienne Barilier, "Dans Khartoum assiégée"

Restituer l'authenticité du chef religieux Le Mahdi

A la faveur du siège de Khartoum, Gordon qui lisait quotidiennement la Bible et les Pères de l’Eglise se trouve face à un autre mystique, musulman celui-ci: le Mahdi. Un fou de dieu qui se considérait comme successeur et égal de Mahomet. C’est lui qui en janvier 1885 brisera les dernières résistances d’une ville encerclée et affamée, pour y imposer la loi islamique.

Dans le désert, un prophète s’est dressé, le Mahdi, qui veut épurer le monde, chasser le pouvoir apostat, éradiquer la corruption, brûler les mécréants au feu de la vraie foi, au fer de la vraie loi.

Etienne Barilier, "Dans Khartoum assiégée"

"Le Mahdi, cela signifie le Bien-Guidé, précise Etienne Barilier. C’était un mystique qui se sentait appelé pour chasser l’occupant et régénérer l’islam qu’il estimait corrompu. En tant que romancier, je souhaitais restituer l’authenticité de ce personnage très éloigné de moi et montrer que Gordon et le Mahdi étaient des frères, chacun étant attaché à sa foi et à la parole donnée".

Eviter tout jugement

Avec subtilité, l’auteur tente en effet de cerner la vérité de chacun des personnages historiques qu’il met en scène, entre ombre et lumière, en évitant d’émettre tout jugement. C’est précisément cette restitution d’une grande honnêteté qui confère à ces figures tragiques leur épaisseur humaine.

Dissocier l'idée de sacré et de violence

En 2016, dans la foulée des attentats terroristes qui ont secoué Paris, Etienne Barilier faisait paraître aux éditions Buchet-Chastel un essai intitulé "Vertige de la force". En se référant aux récentes tragédies, l’auteur y rappelait la nécessité impérieuse de dissocier l’idée de Dieu et du sacré de celle de la violence. Deux ans plus tard, le roman se présente comme un écho romanesque de l’essai.

L’auteur le confirme: "Je ne peux pas nier qu’il y a un lien entre les deux ouvrages car il me semblait utile de faire connaître à nos contemporains ce qui s’est passé au 19 siècle avec ce qu’on appelle aujourd’hui l’islamisme radical. Dans l’essai, je parlais en mon nom en prenant position, dans le roman je ne le fais pas. Je montre, sans souci de démontrer".

Plus tranquille et majestueux que les eaux des deux Nils, le sang de celui qui fit mourir Gordon coule dans les veines des dirigeants soudanais.

Etienne Barilier, "Dans Khartoum assiégée"

Dans les dernières pages de "Dans Khartoum assiégée", le romancier cède la place à l’essayiste pour rappeler que les dirigeants modernes du Soudan, depuis l’indépendance, sont des descendants directs du Mahdi et détenteurs de sa pensée.

"Le temps passa. Et tout changea. A moins que rien n’ait jamais changé…". Telle est la conclusion légèrement ironique qui figure sur la dernière page de ce roman d’une rare densité.

Jean-Marie Félix/aq

Etienne Barilier, "Dans Khartoum assiégée", Editions Phébus

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