Sélectionné pour le Prix Goncourt, "Hôtel Waldheim" de François Vallejo mêle l'histoire intime et officielle dans ces Grisons choisis par Thomas Mann pour raconter sa "Montagne magique".
Souvent chez François Vallejo les personnages ne jouent pas vraiment le rôle qu’on leur assigne. Les distingués pensionnaires de l’Hôtel Waldheim, à Davos, ne dérogent pas à la règle: dissidents d’Allemagne de l’Est, espions de la Stasi, enseignant exclu de l'instruction publique, ils apparaissent comme d’inoffensifs randonneurs aux yeux du narrateur, alors adolescent.
Des allers et retours dans le temps
Les vacances grisonnes de ses seize ans, Jeff Valdera, quinquagénaire marié, les a oubliées, lorsqu’il reçoit plusieurs cartes postales anonymes qui montrent un hôtel de Davos et lui enjoignent de se souvenir. Il finit par en rencontrer l’expéditrice, une Alémanique qui lui reproche, documents à l’appui, le rôle douteux qu’il aurait joué durant son séjour à l’Hôtel Waldheim.
Frieda Steigl est en effet la fille d’un homme avec qui le narrateur disputait des parties de go acharnées. Ce citoyen est-allemand réfugié en Suisse a disparu en août 76 laissant une fille - Frieda - qui contrairement à sa mère, refuse de croire qu’il les a abandonnées.
Un véritable puzzle
Comme le logiciel qui a permis, vingt ans après la chute du Mur, d’assembler les millions de confettis restés des archives de la Stasi après leur passage dans la broyeuse, le narrateur va reconstituer son séjour à Davos et en éclairer des moments restés jusque là dans l’ombre.
Le jeune homme insolent qui trompait l’ennui de son séjour davosien grâce à des échanges parfois vifs avec certains pensionnaires - dont une vieille dame férue de Thomas Mann - se rendait-il compte qu’il renseignait malgré lui la Stasi sur les allées et venues des uns et des autres, en toute innocence?
La mémoire, c'est d'abord une question d'interprétation, et l'interprétation, c'est la mise en cause de soi.
Avec "Hôtel Waldheim", clin d’œil au roman de formation, François Vallejo a construit une mécanique parfaite, une partie d’échecs que se disputent mémoire collective et mémoire intime et dont les pions sont les vacanciers à Davos.
On est pris par cette intrigue parfaitement ficelée et comme le narrateur, double de l’auteur, on l’avoue, on aurait tendance "à le trouver sympathique, ce garçon de seize ans, à lui voir un avenir intéressant". Faire la paix avec soi-même en fouillant dans ses souvenirs, c’est ce que nous conseille François Vallejo.
Geneviève Bridel/mcm
"Hôtel Waldheim", de François Vallejo, Édition Viviane Hamy.