"Tenir jusqu'à l'aube", roman féministe sur la chute sociale d'une mère

"Tenir jusqu'à l'aube", paru aux éditions Gallimard, figure dans la première sélection du Prix Médicis, dans celle du Prix Landerneau et aussi du Prix Wepler, une reconnaissance enthousiaste qui surprend Carole Fives qui signe ici son quatrième roman. Un roman dont le coeur est un huis-clos entre une mère et son enfant. L'intrigue se déroule à Lyon.

Une relation fusionnelle, étouffante sans doute, entre une mère et son fils de 2 ans. Mais aussi un lien, un attachement qui se transforme en captivité pour des raisons pécuniaires: l'héroïne est une graphiste freelance, sans salaire fixe, qui ne peut compter que sur elle-même pour survivre et nourrir son fils. Alors, comme la Chèvre de Monsieur Seguin, elle tire sur la corde, tente de s'échapper. Et parfois, à la nuit tombée, elle laisse son fils endormi pour arpenter le bitume et respirer l'air de la nuit.

Un livre féministe

Ce titre, "Tenir jusqu'à l'aube", ce sont les mots de "La Chèvre de Monsieur Seguin" lorsqu'elle se trouve face au loup. Le roman de Carole Fives est entrecoupé de passage du conte d'Alphonse Daudet.

"La Chèvre de Monsieur Seguin" est venue par la suite, parce que je déteste ce conte très moralisateur. J'ai vraiment l'impression qu'il parle de l'émancipation féminine et que ça se termine par la mort. Je voulais donner une version un peu plus féministe de ce conte.

C'est un livre féministe qui témoigne de la violence inouïe faite aux femmes en les culpabilisant de ne pas être des mères parfaites. L'héroïne de Carole Fives se trouve dans un grand désarroi. Elle se tourne vers les réseaux sociaux, sorte d'échappatoire de son huis-clos, et, alors qu'elle attend du soutien, reçoit l'incompréhension, voire la condamnation.

Narration entrecoupée

Dans son roman, Carole Fives reproduit, sur des pages entières, les échanges qu'a son héroïne sur les réseaux sociaux avec d'autres mères. Avec une autre police de caractère, ces échanges interviennent dans le récit comme une lame de couteau qui coupe la narration, une façon aussi de montrer cette injonction au bonheur d'être mère.

L'idéalisation de la parentalité est au coeur de "Tenir jusqu'à l'aube". Carole Fives s'est inspirée de son propre vécu en tant que mère célibataire, à une période de sa vie, mais aussi de ce qu'elle a pu lire sur des forums, des sites internet ou des réactions d'internautes sur les réseaux sociaux. Des échanges d'une grande violence qui ont été le point de départ du roman de l'auteure.

Une mère prisonnière du lien

L'héroïne du roman de Carole Fives est prisonnière de la relation avec son fils. Ils font tout à deux. L'enfermement continue à l'extérieur, dans les squares, les parcs, le supermarché.

Je pense que c'est la première fois dans notre histoire où l'on se retrouve dans cette situation, quand les couples se séparent, avec des mères qui se retrouvent sans le soutien de la société ou des autres femmes, dans des cellules qu'on nomme "appartement", coupées de liens sociaux.

La nuit, cette mère s'échappe de sa prison. D'abord un peu, quelques minutes, puis, les fugues se font de plus en plus longues. Parce qu'elle a besoin de souffler, comme une adolescente. Ces fugues vont devenir un moyen de retrouver les sensations perdues, un moyen de faire des rencontres.

"Tenir jusqu'à l'aube" est ainsi une fable sur le désir de liberté, une histoire d'amour entre sa mère et son fils, sur une mère qui ne s'en sort pas. Un récit sans jugement que Carole Fives dédie à son fils, Odillon, avec qui elle a traversé ce type d'épreuve.

Linn Levy

Adaptation web: Lara Donnet