Surtout ne pas dire à Isabelle Guisan qu’elle a écrit un livre sur les migrants et leur réalité quotidienne. Sinon elle rétorquera: "Hors-sol est un livre de rencontres vécues sur le mode de l’effleurement, avec des êtres que je ressens en quête de quelque chose, en route vers quelque part. Parmi eux, il y a des migrants, mais il y a aussi des Suisses et des expatriés".
Ecrivaine empathique
Soit! Mais l’auteure le reconnaît volontiers, la colonne vertébrale de son livre tourne autour de moments de conversation française offerts à Lausanne à des hommes et des femmes fragilisés. Ceux que la fureur du monde a jetés sur les routes de l’exil. Avec l’empathie qu’on lui connaît, Isabelle Guisan fait revivre sur le papier quelques séances d’initiation au français dispensées à une population métissée.
Une évidence souterraine me lie à Rita, Alessandra, Chirag ou Miguel : des pertes signifiantes nous ont marqués les uns comme les autres. En assistant même très irrégulièrement aux moments de discussion, ils expriment une reconnaissance dont j’ai besoin.
Reconnaissance, à entendre aussi ici comme le fait de se reconnaître dans l’autre. Dans ses manques, ses attentes, sa quête. C’est aussi cela qu’exprime l’écrivaine en évoquant ce qu’elle nomme "les spasmes de son besoin d’aider".
"C'est en Grèce que j'ai trouvé mon oxygène"
Vaudoise par son père, Grecque par sa mère, Isabelle Guisan met en avant son "identité flottante". Entre deux cultures, entre deux rives. "Cette particularité fonde mon intérêt pour la migration et pour l’ailleurs, confie-t-elle. Ma mère est une Grecque venue de Turquie dont la famille a préféré émigrer en Suisse en 1922. Par la suite, c’est en Grèce que j’ai trouvé mon oxygène". Cette même Grèce devenue aujourd’hui une hypothétique porte d’entrée vers une Europe fantasmée, comme un Eldorado.
Jim ne revendique plus depuis longtemps d’appartenance à un métier, à un pays, à une nationalité. Son univers, c’est l’indéfini qui se cherche, échappe, résiste au conformisme. Fréquenter la société normale le rebute.
"Hors-sol" comporte aussi une galerie de portraits d’hommes et de femmes effleurés, le temps d’une rencontre éphémère, dans les rues d’Athènes, de Lausanne, de Berlin ou d’ailleurs. Des êtres mobiles de corps et d’esprit, en léger décalage, à la lisière. Comme l’est Isabelle Guisan.
A chaque nouvelle rencontre avec l’autre, porteur d’étrangeté, résonne l’histoire personnelle de celle qui (se) raconte. Sensible.
Jean-Marie Félix/jd
"Hors-sol", Isabelle Guisan, Hors-sol (Editions de la Marquise).