Les accros à l'écriture préfèrent le poids des mots au choc des images. [Fotolia - Sergey Nivens]
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Etat des lieux d'une scène littéraire romande en ébullition

Ateliers d'écriture, café littéraires ou mentorat. La scène littéraire romande bouillonne d'énergie et ne désemplit pas. En quête de gloire, passionnés ou amateurs, les auteurs partagent tous ce même besoin viscéral d'écrire. Chronique et décryptage d'une effervescence en cinq volets à l'enseigne de "Futur antérieur".

Manuela Salvi/mg

Épisode 1

Écrire: un cri du cœur!

Plume, papier ou clavier d'ordinateur, le désir d'écrire n'a jamais été aussi grand. [Fotolia - mariesacha]Fotolia - mariesacha
Futur antérieur - Soif d'écriture ou soif de gloire? / Futur antérieur / 3 min. / le 25 septembre 2017

Plume, papier ou clavier d'ordinateur, un dictionnaire et beaucoup d'imagination: le désir d'écrire n'a jamais été aussi grand. L'écriture fait de la résistance.

Sculpter des phrases et transpirer sur une page blanche, les accros à l'écriture préfèrent le poids des mots au choc des images. Une lettre manuscrite à une vidéo postée sur Facebook, Snapchat ou Instagram.

Cette soif ne surprend pas Marie Caffari, la directrice de l'Institut littéraire suisse à Bienne: "On a toujours eu ce besoin, raconter des histoires, mais aussi un besoin d'être à l’intérieur". Elle parle de bruissement, d'une "omniprésence" de voix littéraires. Écrire, une pause, une introspection bienvenue dans un monde complexe.

Soif d'exister?

Écrire, c'est aussi une manière de laisser des traces en agençant des mots dans un carnet ou dans un fichier numérique. C'est écrire pour soi. Avec peut-être, relève l'écrivain Jérôme Meizoz, le secret espoir "du quart d'heure de gloire". Une manière de flatter son ego!

Épisode 2

Vive les ateliers d'écriture!

En Suisse romande, les ateliers d'écriture ne désemplissent pas. [Fotolia - Patrick Daxenbichler]Fotolia - Patrick Daxenbichler
Futur antérieur - Les ateliers d'écriture ne désemplissent pas / Futur antérieur / 4 min. / le 26 septembre 2017

J'écris un roman. Tu écris un journal intime ou un carnet de voyages. Nous écrivons tous. L'écrit fait de la résistance. Les ateliers d'écriture ne désemplissent pas. Il existe même des listes d'attente. En Suisse romande, ils sont des centaines et des milliers à vivre leur passion des mots comme une parenthèse dans un monde qui se vit en accéléré. Comme un espace de créativité. Avec parfois l'ambition d'être publié.

Leurs motivations, détaille Annick Mahaim, écrivain et animatrice d'atelier, sont diverses. Ils veulent écrire leur histoire, celle de leur famille. "Peu vont publier", précise-t-elle. La soif d'écrire répond aussi à une soif d’exister.

Une vague de fond

Elle déferle depuis quelques années. En Suisse Romande, 600 ateliers, tous genres confondus, proposent leurs services. Avec une conviction: écrire, ça s'apprend. Pour Pierre Fankhauser, écrivain et animateur d'atelier, "c'est 10% de talent et 90% de travail". Et le chemin est long, car n'est pas écrivain qui veut.

Parler, glisser une photo sur Facebook ou Instagram, le geste est à la portée de tous. Mais choisir ses mots avec la délicatesse d'un orfèvre? Traduire ses émotions et sa pensée avec précision? Il existe des formations de "creative writing", sur le modèle des États-Unis. La Suisse a son institut littéraire où les futurs écrivains peuvent apprendre à raconter une histoire, inventer des personnages. Cet institut se trouve à Bienne. Sa directrice Marie Caffari insiste: il n'y pas de génération spontanée".

Épisode 3

Le mentorat

Le mentorat, formidable accélérateur de talent chez les jeunes auteurs. [Fotolia - Elnur]Fotolia - Elnur
Futur antérieur - Densité de jeunes auteurs en Suisse romande grâce au mentorat / Futur antérieur / 4 min. / le 27 septembre 2017

Pas de télévision, des livres pour compagnons. Le désir d'écriture était né. C'est ainsi que Gaia Grandin, jeune écrivain genevoise raconte la genèse de sa vocation. Mais comment émerger dans une terre romande qui regorge d'écrivains?

La solution, c'est le mentorat, formidable accélérateur de talent. C'est à Bienne, à l'Institut littéraire suisse que se niche une véritable pépinière.

Onze ans d'existence, 100 diplômés en 2017. Céline Zufferey, 25 ans, en fait partie. Elle a publié pour cette rentrée littéraire, "Sauver les meubles" chez Gallimard.

Un couple

C'est Noëlle Revaz, écrivaine confirmée qui a accompagné Gaia Grandi. Cette dernière reconnait que "c'était une chance". Sans son mentor, elle avoue que "jamais", elle n'aurait publié son recueil de nouvelles. Son titre "Faou", lui a d'ailleurs été soufflé par Noëlle Revaz, qui relève "un vrai engouement pour le mentorat".

Le mot est entré dans le vocabulaire des études littéraires. Mais ce n'était pas gagné. Les plus sceptiques anticipaient un formatage des écrivains. Tous les mêmes textes? Tous le même style? Noëlle Revaz éclate de rire. Et balaye la critique!

Épisode 4

Les Dissidents de la pleine lune

Les Dissidents de la pleine lune, groupe de lecture et d'écriture à la pleine lune.  [Fotolia - Zacarias da Mata]Fotolia - Zacarias da Mata
Futur antérieur - Un groupe de lecture et d’écriture à la pleine lune / Futur antérieur / 4 min. / le 28 septembre 2017

Écrire, l'exercice est solitaire, mais l'aventure peut aussi se vivre en groupe. Ils sont une quarantaine, amoureux de mots, des phrases ciselées et des consignes parfois absurdes. Tous les mois les soirs de pleine lune, sans exception depuis sept ans, ils se réunissent pour un café littéraire insolite. Ces "obsédés textuels" ont créé le groupe des "dissidents de la pleine lune".

Ils sont issus d'une scission avec un café littéraire bien plus ancien mais où "chaque lecture se terminait dans un silence de mort", précise Sabine D'Ormond, écrivaine, présidente de l'Association vaudoise des écrivaines et l'une des trois fondatrices du groupe.

Consignes farfelues

Chaque mois, une consigne est donnée et un nombre de mots. Objectif: écrire une nouvelle de 3000 signes. Les thèmes? Les yeux rouges, bouille ou politesse abusive. Les soirs de pleine lune, les dissidents déclament leur texte.

Armoire, fantôme, strapontin, avaler, boutiques, dormir, vert, symbolique, sinistre doigt, bouche, aimer, rideaux... et ainsi de suite jusqu'à 139! Facile, non?

La diversité est au rendez-vous. Les participants aux dissidents de la pleine lune se recrutent chez les écrivains confirmés, les débutants sont les bienvenus, les amateurs apprécient l'exercice ludique. Et il y a les personnages. Un berger qui chaque nuit de pleine lune, cherche un hôtel qui veut bien lui imprimer son texte.

Scène littéraire dynamique

Les expériences d'écriture collective se multiplient. Les jeunes auteurs ont créé un collectif: l'AJAR. Ils ont moins de 30 ans et ils écrivent leur texte à plusieurs plumes. C'est leur originalité. Ils ont publié un roman collectif, le très remarqué "Vivre près des tilleuls", chez Flammarion. Ils mettent aussi en commun leur autoportrait. Taille moyenne: 171 cm. Poids: 61 kg. Loyer: 596 francs. Et ils n'ont jamais fini de lire "Lolita" de Nabokov ou "Cent ans de solitude" de Garcia Marquez.

Épisode 5

L'édition en ébullition

Un livre est publié pour 900 habitants dans le canton de Vaud. [Fotolia - Dmitry Nikolaev]Fotolia - Dmitry Nikolaev
Futur antérieur – Le livre est toujours vivant: les maisons d'édition se multiplient / Futur antérieur / 4 min. / le 29 septembre 2017

La soif d'écriture n'a jamais été aussi forte. Textes, poèmes, ébauches de roman, récit de vie, ces textes restent-ils dans les tiroirs? Qui va les éditer? À foisonnement de mots, éclosion de maisons d'éditions, relève la présidente de l'Association vaudoise des écrivains, Sabine Dormond. La mort du livre était annoncée. Il résiste et le numérique ne l'a pas encore rayé de nos habitudes de lecture. Un seul chiffre: un livre publié pour 900 habitants dans le canton de Vaud!

L'écrivain Jérôme Meizoz fait les comptes. "Depuis les années 2000, une quinzaine de maisons d'éditions ont été créées surtout par des jeunes". Une belle vitalité dans un marché du livre en situation difficile.

Les plus jeunes au front

Ils inventent et se mobilisent. Ils organisent des événements originaux autour du livre. Salon, rencontres, lectures publiques, ils osent tout ou presque. Ils investissent aussi le monde de l'édition.

Des études en lettres et un Master en édition à Paris, Ines Marques crée les Éditions de la Marquise en 2015. Pas encore d'adresse, ni de plaque avec son nom en lettres d'or, la maison d'édition est nomade. Elle se lance grâce à un concours de circonstances. Un ami cherche un éditeur pour son texte. Elle se lance. Ce sera elle qui le publiera. Son catalogue? Quatre livres, deux autres en préparation. Sa devise: la tête et le cœur. Ines Marques reconnaît que les subventions sont vitales pour éditer un livre. C'est fatiguant, relève la jeune éditrice, mais l'aventure continue!