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Un manuscrit clandestin raconte la vie des Nord-Coréens

Jeudi 13 avril: le président nord-coréen Kim Jong-un lors de l'inauguration d'un grand projet résidentiel dans la capitale Pyongyang. [EPA/Keystone - How Hwee Young]
Jeudi 13 avril: le président nord-coréen Kim Jong-un lors de l'inauguration d'un grand projet résidentiel dans la capitale Pyongyang. - [EPA/Keystone - How Hwee Young]
Caché derrière le pseudonyme Bandi, un Nord-Coréen raconte la vie quotidienne de son peuple sous la dictature. Ses nouvelles sont désormais disponibles en allemand.

743 pages de trahison d'Etat écrites au crayon sur un papier brut de couleur marron. Le manuscrit, sorti du pays par des activistes, est publié sous le pseudonyme Bandi ("luciole"). Un témoignage rare sur la réalité nord-coréenne, teinté d'un certain dogmatisme.

Bandi raconte dans un style sobre et pressant la réalité quotidienne de son peuple sous le régime communiste de Corée du Nord.

Sept nouvelles datées de 1989 à 1995, qui racontent chacune l'histoire d'un personnage innocent dont l'existence est détruite par le régime.

"La dénonciation" a été publié en mars 2016 aux Editions Philippe Picquier.

Un manuscrit sorti clandestinement via la Chine

L'homme qui a découvert et fait connaître le manuscrit de Bandi est l'activiste Do Hee-Yoon, qui vit actuellement en Corée du Sud. Do Hee-Yoon est président d'une ONG qui vient en aide aux réfugiés nord-coréens. S'il garde secrète l'identité de Bandi, c'est pour lui éviter les affres d'une mort certaine.

Do Hee-Yoon connaît l'existence du dissident Bandi depuis 2012. A l'époque, il assistait une Nord-Coréenne arrêtée pendant sa fuite par les autorités chinoises. En Corée du Sud, elle lui a parlé d'un homme qui avait essayé de lui confier son manuscrit. Elle ne l'avait pas emporté avec elle, sa fuite étant déjà très risquée; elle savait que les conséquences seraient terribles si elle était arrêtée avec le manuscrit en sa possession.

Do Hee-Yoon contacte alors une connaissance, qui se fait passer pour un touriste chinois en voyage en Corée du Nord. Sur place, il trouve Bandi et le persuade de lui remettre son manuscrit. C'est caché parmi des œuvres de propagande que le texte quitte clandestinement le pays.

Pas de falsification

Il semble que cette histoire soit parfaitement vraie, un journaliste du New York Times ayant pu expertiser le manuscrit. Même Lee Ki-Hyang, à qui l'on doit la traduction allemande publiée sous le titre "La dénonciation", estime que ces nouvelles proviennent effectivement de Corée du Nord: "Les métaphores et les tournures utilisées par Bandi sonnent étrangement aux oreilles d'un lecteur sud-coréen. Et on trouve quantité de mots qui n'existent même pas chez nous."

La Corée du Sud accueille par ailleurs plusieurs auteurs nord-coréens exilés, membres du PEN club international, qui considèrent également ces écrits comme véridiques.

Beaucoup d'auteurs sud-coréens ont déjà écrit sur la division du pays. Mais rares sont les récits qui évoquent concrètement la vie quotidienne en Corée du Nord.

Lee Ki-Hyang, traductrice en allemand

Ce qui fait l'originalité du texte de Bandi d'après Lee Ki-Hyang, c'est son approche littéraire de la vie quotidienne des hommes et des femmes de Corée du Nord.

Héritage socialiste

Nous savons peu de choses sur la vie quotidienne en Corée du Nord. Rien d'étonnant donc à ce que les nouvelles de Bandi fassent sensation. [Keystone]
Nous savons peu de choses sur la vie quotidienne en Corée du Nord. Rien d'étonnant donc à ce que les nouvelles de Bandi fassent sensation. [Keystone]

La dimension réaliste de ces nouvelles datant du début des années 1990 pose toutefois question. Né en 1950, Bandi a passé toute sa vie professionnelle à écrire des articles pour des journaux de propagande d'Etat. Habitué à véhiculer des messages dogmatiques, on retrouve cette tendance également dans ses écrits dissidents.

De fait, ces histoires nous apportent également un éclairage sur la tradition littéraire du pays. Malgré un militantisme critique à l'égard du régime, Bandi reste ancré dans le réalisme socialiste. Son style de narration moraliste a parfaitement assimilé les idéaux communistes. Si Bandi parvient à créer une véritable tension dramaturgique, ses personnages n'échappent pas aux stéréotypes.

"Des lumières dans un monde d'obscurité"

Les récits de Bandi laissent imaginer le changement de mentalité que l'auteur a dû opérer dans une Corée communiste. L’une des nouvelles est particulièrement symptomatique. Elle parle d'un vieil homme, héros de guerre et travailleur acharné, qui a servi son pays chaque jour de sa longue existence et qui, accablé de déception, abat l'arbre qu'il avait planté jadis pour symboliser sa croyance en un avenir communiste radieux.

En plus des sept nouvelles regroupées sous le titre "La dénonciation", le manuscrit de Bandi contient 50 poèmes qui devraient être publiés séparément.

Dans l'un de ces poèmes, Bandi explique son pseudonyme: la luciole a pour destin de briller seule dans un monde d'obscurité.

Philipp Auchter/mcc

Cet article a été publié sur SRF Kultur.

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