Avec "La haine du poil", Juliette Mancini questionne le rapport des femmes à leur pilosité
"Scritch", "Frrr", "Vrrr", bandelettes de cire, rasoir ou appareil d'épilation, les rituels liés à l'épilation sont le lot de nombreuses femmes. Des rituels parfaitement intégrés, mais dont il est nécessaire d'interroger la légitimité. Si la bande dessinée "La haine du poil" a pu voir le jour grâce aux dessins délicats de Juliette Mancini, l'idée de base vient du sujet de thèse de la psychologue Sara Piazza consacré à la représentation du sexe féminin.
Avec l'aide d'Alexia Chandon-Piazza, artiste et psychologue, les trois femmes ont décidé de créer un scénario en étendant cette thématique aux poils et aux cheveux des femmes.
Partir du quotidien
Une ado de 14 ans qui veut intégralement se raser comme ses copines, un chien tête en bas à trois pattes (position de yoga) en mini-short ou une épilation du sillon interfessier, dans la BD "La haine du poil", les préoccupations du quotidien sont illustrées avec beaucoup de tendresse et aucun jugement.
Les différentes protagonistes s'épilent ou non, se questionnent sur leur pilosité, tout en affrontant des injonctions sociales pas toujours tendres à leur égard. Juliette Mancini croque les corps féminins de l'adolescence à la vieillesse. La bédéaste s'est également amusée à dessiner des poils qui parlent.
Remonter aux sources
Non contente d'illustrer des scénettes du quotidien où les hommes ne tiennent pas toujours le beau rôle, "La haine du poil" prolonge la réflexion en évoquant différents mythes historiques. La force magique et virile logée dans la chevelure de Samson, la Gorgone de Méduse ou encore Baubo, servante de Déméter, qui pour consoler sa maîtresse de la perte de sa fille, souleva ses jupes et exhiba sa vulve.
Les poils renvoient à l'aspect pulsionnel de la sexualité et si cet aspect est valorisé pour les hommes, il l'est beaucoup moins pour les femmes. Dans le monde de l'art, le sexe féminin est souvent glabre. Et dans le fameux tableau "L'origine du monde" de Gustave Courbet où il est poilu, la tête de la protagoniste est en revanche cachée.
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Sous sa banale apparence, le poil féminin reste le sujet de préoccupations aussi bien intimes que publiques et la pression sur le corps des femmes toujours d'actualité. Prix Töpffer Genève du meilleur album 2024, "La haine du poil" est une BD d'utilité publique à glisser dans de nombreuses mains (qu'elles soient poilues ou non).
Sarah Clément
"La haine du poil", Juliette Mancini, Sara Piazza et Alexia Chandon-Piazza, ed. Cambourakis, août 2024.